La patate chaude
« Patate chaude : problème embarrassant que chacun essaie de faire résoudre par un autre : ce dossier, c’est une patate chaude », nous dit le Larousse.
J’ajoute une autre définition, très actuelle et toute québécoise : un contrat sans concurrence de 36 M$ à une firme liée à Charles Sirois, le cofondateur de la Coalition avenir Québec (CAQ) et ami du premier ministre, François Legault.
Cette situation, mise en lumière ce jeudi par notre Bureau d’enquête, crée un malaise évident au sein des troupes caquistes. Qui en prendra la responsabilité ? Personne, apparemment.
Depuis quelques jours, les trouvailles de mes collègues Nicolas Lachance et Éric
Yvan Lemay soulèvent de sérieuses questions.
CONTRADICTIONS
Le mandat octroyé à PetalMD pour une plateforme de prise de rendez-vous en ligne l’a été dans le contexte de la pandémie, d’après le communiqué de presse daté du 5 août dernier dans lequel le ministre délégué à la Santé, Lionel Carmant, est cité.
Si c’est vrai, l’urgence pouvait donc justifier d’esquiver le processus habituel d’appel d’offres.
Or, le ministère de la Santé a répondu par courriel à mes collègues que l’urgence sanitaire n’avait rien à voir avec ce contrat.
François Legault a contredit le ministère dès le lendemain de notre publication, affirmant en conférence de presse qu’il y avait bel et bien un lien avec la pandémie. Qui croire ?
Et s’il y avait urgence, comment expliquer qu’à ce jour, seulement 38 des 1300 cliniques du Québec sont reliées à la plateforme ?
ILS SE DISSOCIENT
Tour à tour, les ministres de la Santé, Christian Dubé, et de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, ont voulu se dissocier de l’octroi de ce contrat. La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, leur avait pourtant donné beaucoup de crédit à ce sujet en commission parlementaire, mais le gouvernement assure aujourd’hui qu’il s’agissait d’un quiproquo.
Le premier ministre a aussi plaidé l’ignorance, jeudi, concernant l’octroi du contrat à PetalMD.
« Les choix qui sont faits concernant les approvisionnements, je ne me mêle pas de ça. Je ne suis pas au courant, même, de ça », a-t-il affirmé.
Peut-être aurait-il dû préciser qu’il ne s’agit pas ici d’un banal contrat « d’approvisionnement » pour acheter de l’équipement médical. Le contrat en faveur de PetalMD provient du Conseil des ministres, qui est solidaire et dont il fait bien sûr partie. Tous les membres du Conseil des ministres ont approuvé le décret.
FACILE POUR L’OPPOSITION
Sans parler des apparentes contradictions dans les informations soumises à l’attention de la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale. La commissaire a mis son nez dans l’affaire, à la demande de Lionel Carmant, qui affirme avoir ignoré les liens entre PetalMD et Charles Sirois jusqu’à la journée de l’annonce du contrat.
Ainsi, faut-il croire le site web de PetalMD, qui désignait Charles Sirois comme membre du conseil d’administration de l’entreprise depuis 2011 ? Ou bien les informations que l’entreprise aurait envoyées à la commissaire voulant que Sirois n’ait jamais été administrateur ?
C’est presque trop facile pour l’ex-ministre de la Santé libéral, Gaétan Barrette, aujourd’hui dans l’opposition, de se délecter à la vue de ses adversaires qui s’empêtrent dans leurs explications.
Jean-Louis Fortin Directeur du Bureau d’enquête