Des cas de plus en plus lourds
Les policiers escortent des femmes en « situations d’extrême dangerosité » vers des maisons d’hébergement
Jamais les cas de violence envers les femmes n’ont été aussi extrêmes que depuis le début de la pandémie, notent les maisons d’hébergement, où les victimes et les intervenants sont sous haute tension.
« On a vu des femmes avec toutes les dents cassées, arrachées ou rentrées dans la gencive avec les coups de poing qu’elles ont reçus. On a vu beaucoup de violence extrême. Ce sont des situations qu’on n’a jamais notées en si grand nombre. Ça arrive toujours, mais depuis la COVID, on en a beaucoup plus », révèle la directrice de la maison d’aide et d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale Le Parados, Sonia Dionne.
Elle constate que « de plus en plus de femmes sont accompagnées par les policiers » dans la ressource, parce qu’elles « se retrouvent dans des situations d’extrême dangerosité ».
« Plusieurs ont attendu trop longtemps avant de faire une demande d’hébergement », observe Christine, qui intervient auprès des femmes depuis 20 ans dans cette maison nichée dans un quartier tranquille de Montréal.
Depuis le début de l’année, le Québec compte 10 féminicides en 10 semaines.
ESCALADE DE VIOLENCE
Le manque de ressources pour sortir de leur domicile ou la peur de vivre en communauté durant la pandémie expliqueraient en partie cette attente ; ce « qui crée une escalade de la violence », prévient la travailleuse sociale à SOS violence conjugale Claudine Thibaudeau.
« Les cas sont de plus en plus lourds », soutient aussi l’avocate et responsable de la clinique d’information au Y des femmes, Sandrine Boisselle. « À cause de la pandémie et de la crise du logement [des victimes] n’arrivent pas à se trouver un appartement. Elles restent coincées dans des relations qui deviennent toujours plus violentes. »
Même constat à la Maison Denise-Ruel, dans la région de Québec.
« On a vu des cas d’hospitalisation qui ont duré jusqu’à 48 heures. Des femmes pas capables de bouger, qui sont maganées. Dans toutes les formes de violence, on a vu une escalade », déplore l’intervenante Caroline Hallé.
SOUS TENSION
De l’extérieur, Le Parados ressemble à toutes les autres maisons à proximité et est à l’abri des regards, et surtout, des hommes violents que les victimes tentent de fuir.
« On est débordées, on est vraiment surchargées », lance Mme Dionne, qui a aménagé son horaire et celui de deux intervenantes pour accueillir Le Journal.
Pourtant, les lieux semblent déserts. La cuisine et la salle à manger qui rassemblent d’ordinaire une quinzaine de personnes pour le partage du repas du soir sont vides ; les portes des six chambres occupées sont closes.
« En ce moment, on a des femmes qui sont particulièrement atteintes. Il y a beaucoup de conflits dans la maison. Vivre sept ou huit familles ensemble, en pandémie, ce n’est pas du tout facile », explique Mme Dionne, précisant que les victimes ont préféré demeurer dans leurs appartements pendant la visite du
À l’exception des chaises hautes, de la salle de jeux au deuxième et des centaines de couches entassées dans la vaste penderie, « la seule pièce fermée à clé parce qu’elle contient toutes les denrées », signale la directrice, rien ne laisse deviner que huit enfants habitent la maison.
De 70 à 100 femmes traversent annuellement la porte pour des séjours de 3 à 12 semaines.
Elles veulent « un break, souffler ou mettre tout de suite les procédures judiciaires en marche avec l’aide des intervenantes pour que la vie reprenne », confie Emmanuelle (nom fictif).
TOUT QUITTER
Il y a une dizaine de jours, elle s’est présentée avec son enfant au Parados, escortée par les autorités.
« C’est la décision la plus difficile que j’ai eu à prendre dans ma vie. Je me souviens juste d’avoir regardé le ciel et de m’être dit : “Tu vas le faire, tu vas le faire, tu vas le faire.” J’ai rassemblé le nécessaire, et je suis partie de chez moi avec la police. »
« Quand on arrive ici, il y a beaucoup d’émotion, beaucoup de questions. Il y a un soulagement et après on se demande : “Mais qu’est-ce que je vais faire ?” »