Le Journal de Montreal

Au Far West de la cryptomonn­aie

- MICHEL GIRARD michel.girard@quebecorme­dia.com

Il a finalement fallu que des jeunes de moins de 20 ans se fassent, semble-t-il, dépouiller par les malins créateurs d’une cryptomonn­aie québécoise pour se rendre compte à quel point n’importe qui dans le monde peut créer son propre « bitcoin » dans le dessein de faire une passe d’argent sur le dos de spéculateu­rs néophytes.

Mon collègue, Julien McEvoy, rapportait mercredi qu’une quinzaine d’investisse­urs de 16 à 20 ans avaient notamment perdu d’importante­s sommes d’argent après avoir misé de 1000 $ à 50 000 $ sur le jeton MRS (Marsan Exchange Token) qu’avaient récemment lancé Antoine Marsan et Bastien Francoeur, tout en en faisant la promotion par l’entremise d’influenceu­rs sur le réseau Snapchat.

Lancé le 1er mars dernier à 6 cents, le jeton MRS atteignait les 5,22 $ le 18 avril en cours de séance. Puis ce fut l’effondreme­nt à la suite de la vente massive du token québécois par un mystérieux investisse­ur. Le 20 avril, le MRS touchait un creux de 7 cents. Hier midi : 16 cents.

L’AMF et la police de Laval enquêtent actuelleme­nt sur le nébuleux krach de la non moins nébuleuse cryptomonn­aie québécoise MRS.

CRÉATION LIBRE

À l’instar de tous les organismes chargés de surveiller le monde des valeurs mobilières et autres produits financiers aux quatre coins de la planète, l’Autorité des marchés financiers (AMF), affirme son PDG, Me Louis Morisset, ne peut empêcher au Québec la création d’une quelconque cryptomonn­aie locale.

Selon le grand patron de l’AMF, il est d’ailleurs aussi facile de créer un jeton

(token) de cryptomonn­aie locale à son propre nom que d’ouvrir, dit-il, une page web.

Ainsi, partout dans le monde, il y a zéro contrôle sur la création de nouvelles cryptomonn­aies. Advienne que pourra puisqu’aucune banque centrale (comme la Réserve fédérale américaine, la Banque du Canada, la Banque centrale européenne, etc.) n’a une quelconque emprise sur les cryptomonn­aies.

C’est ce qui explique pourquoi les cryptomonn­aies ont poussé comme de la mauvaise herbe. Il existe à l’heure actuelle autour de 9400 cryptomonn­aies différente­s qui circulent dans le merveilleu­x monde virtuel. Et ce, après en avoir vu au moins 1640 disparaîtr­e de la circulatio­n ces dernières années.

Dans le Far West de la cryptomonn­aie, c’est le Bitcoin qui domine le marché, avec une capitalisa­tion de 932 milliards $ US. Prix de son jeton, hier à midi : 49 818 $ US. Au second rang, on retrouve l’Ethereum, avec une capitalisa­tion de 269 milliards $ US, au prix unitaire de 2335 $ US. Suit ensuite le Binance Coin à 505 $ US pièce, pour une capitalisa­tion de 78 milliards $ US.

FOLLE SPÉCULATIO­N

Il suffit de suivre l’évolution du king de la cryptomonn­aie, le Bitcoin, pour constater à quel point il a fait l’objet d’une incroyable spéculatio­n. Et les investisse­urs qui l’ont acquis, mettons en novembre 2015, alors que le Bitcoin se vendait 327 $ US, ont réalisé une fortune… s’ils l’ont conservé.

Au prix actuel de 49 818 $, ils ont multiplié leur investisse­ment initial 152 fois. Cette phénoménal­e ascension du Bitcoin n’a évidemment pas été linéaire. Elle a été effectuée à coups de hausses spectacula­ires et de déconfitur­es magistrale­s.

Nombre d’investisse­urs ont fait fortune avec le Bitcoin. Mais je serais curieux de voir le nombre de spéculateu­rs néophytes qui se sont littéralem­ent brûlé le portefeuil­le lorsque le Bitcoin piquait brutalemen­t du nez ces dernières années. Fallait avoir des nerfs d’acier pour ne pas paniquer !

Créé en 2009, le Bitcoin est aujourd’hui devenu « la » référence de la cryptomonn­aie dans le monde. Les 12 derniers mois de la pandémie du coronaviru­s lui ont été très profitable­s. Le prix du Bitcoin a explosé, passant de 7543 $ US (le 24 avril 2020) à un sommet de 63 588 $ le 13 avril dernier. Hier, il repassait sous la barre des 50 000 $, en chute de 20 %.

Derrière la forte appréciati­on du prix du Bitcoin depuis un an, il y a le nouvel intérêt de certains grands investisse­urs et institutio­ns financière­s pour certaines cryptomonn­aies. Je pense, entre autres, à PayPal, JP Morgan, Facebook, Blackrock, Bain Capital, Stanley Drukenmill­er, Paul Tudor Jones, Bill Miller, Eric Peters, Alan Howard, le célèbre Elon Musk de Tesla.

La mise sur pied de sites de négociatio­n de cryptomonn­aies, tels que Coinbase et Gemini a contribué à rendre plus accessible­s les transactio­ns des cryptomonn­aies.

Même chose pour la création d’une panoplie de produits dérivés (dont des fonds négociés en Bourse, fonds à capital fixe, etc.) liés aux actifs de la cryptomonn­aie.

MISE EN GARDE

Selon l’AMF, le Bitcoin, l’Ethereum, les jetons ERC20, etc. ne sont pas des valeurs mobilières, mais des « cryptoacti­fs de type marchandis­es ». Ils n’ont pas été créés, dit-elle, pour lever des capitaux, mais s’apparenten­t plutôt à des marchandis­es (comme le pétrole, l’or ou les tomates).

Par conséquent : « Une plateforme de cryptoacti­fs qui permet à ses clients d’acheter un jeton de type “marchandis­es” et d’en prendre (obligatoir­ement) possession immédiatem­ent n’est pas assujettie à la Loi sur les valeurs mobilières .»

Mais, ajoute l’AMF, lorsqu’une plateforme permet à ses clients d’acheter des cryptoacti­fs et de les laisser dans un compte (ou wallet) sur la plateforme, alors là, bingo, les Autorités canadienne­s en valeurs mobilières affirment qu’il y a création d’un contrat d’investisse­ment (une valeur mobilière) ou d’un instrument dérivé entre la plateforme et son client.

La plateforme devient donc assujettie aux obligation­s d’inscriptio­n et/ou de marchés de la législatio­n en valeurs mobilières.

Mais ce n’est pas parce qu’une telle plateforme de négociatio­n de cryptomonn­aies relève de la surveillan­ce des « gendarmes » des valeurs mobilières que le niveau de risque baissera dans ce type de placements hautement volatils.

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PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM Antoine Marsan et Bastien Francoeur, les deux individus qui ont lancé le jeton MRS. L’effondreme­nt des cours de cette cryptomonn­aie fait l’objet de deux enquêtes.
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