Fin d’un autre campement de fortune
Montréal ne semble plus tolérer les villages de tentes sur son territoire comme elle l’a fait l’été dernier
À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
Avant que le nouveau campement de fortune situé sur un terrain vague appelé boisé Steinberg prenne de l’expansion, les autorités ont décidé de le tuer dans l’oeuf en forçant son éviction, hier. Une décision qui incite les campeurs à refluer vers les quartiers résidentiels, déplorent certains intervenants.
Si le nom « boisé Steinberg » ne vous dit rien, c’est normal. Il s’agit d’un terrain vague, propriété du ministère des Transports (MTQ), en friche depuis longtemps et retourné partiellement à l’état de forêt, au sud d’Hochelaga, non loin du boulevard de l’Assomption.
« C’était vraiment le lieu idéal pour un campement de fortune parce que c’est loin de toute résidence privée », explique Michel Monette, le directeur de CARE Montréal.
L’organisme gère trois des principaux refuges pour personnes en situation d’itinérance d’Hochelaga.
« Nous proposions d’installer des toilettes, l’eau courante et l’électricité pour offrir aux itinérants un lieu ombragé où ils ne dérangeraient personne. »
M. Monette s’explique mal la décision de fermer ce campement discret où se retrouvent des gens qui ne supportent pas de vivre au jour le jour dans les lits de refuges et qui préfèrent avoir un chez-eux, fût-ce une humble tente.
« Faut-il s’installer dans le parc La Fontaine ou à côté de l’Hôtel de Ville ? » ironise-t-il.
PAS NOUVEAU
Pendant l’été et l’automne 2020, un vaste campement d’une centaine de tentes occupait le bord de la rue Notre-Dame Est jusqu’à son démantèlement forcé, en décembre.
C’était afin de prévenir de nouveaux ennuis avec le voisinage que le nouvel emplacement plus excentré, dans le boisé, avait été choisi.
Un avis d’éviction du MTQ a été notifié aux campeurs samedi après-midi. Redoutant une intervention policière dès le dimanche matin, certains campeurs à bout de nerfs se sont affolés, il y a eu de la bisbille et des prises de bec, me raconte l’écrivaine Marie Laroque, une évincée.
Lors d’un conseil, dimanche soir, les campeurs décidaient de plier bagage avant que la police les y contraigne.
À 6 h du matin, hier, une vingtaine d’autopatrouilles se préparaient à investir les lieux, avant de renoncer devant la soixantaine de manifestants présents.
TRISTESSE ET COLÈRE
Un mélange de tristesse, de colère, de joie et de résignation régnait sur place, autour d’un feu de baril, tandis que les futurs ex-campeurs recevaient l’encouragement de dizaines de jeunes manifestants venus les appuyer.
« Ne le dis pas – chut ! –, mais je me suis relocalisé tout près d’ici ! » me confie un des campeurs évincés… dont je n’ai toutefois pas à garder le secret puisque les policiers ont vite découvert le nouveau terrain et procédé à son démantèlement.
« Nous ne te laissons pas tomber, nous sommes avec toi, ne t’inquiète pas ! », répètent calmement deux femmes à un campeur désemparé qui redoute que les policiers se saisissent de sa roulotte. « Les campeurs ne décampent pas, ils reviendront quand les policiers seront partis », m’assure un jeune homme au regard résolu, vêtu de noir, comme toute sa bande, et qui est venu m’interroger parce qu’il me soupçonnait d’être un policier infiltré.
Lui et une quinzaine de camarades ont fait face plus tard à la brigade antiémeute du SPVM avant de retraiter également.
En fin d’après-midi, hier, le terrain était vidé.
Tolérante envers les campements de fortune l’an dernier, la Ville semble avoir changé d’attitude avec le déclenchement de la campagne électorale : « On est ferme sur la question des campements organisés : on ne peut pas les tolérer », a dit Nathalie Goulet, la responsable de l’itinérance au comité exécutif.