Le Journal de Montreal

Le premier enfant enlevé était un Innu du Québec

- ANNE CAROLINE DESPLANQUE­S Rouge Brésil.

Bien que les pensionnat­s aient été construits au Québec des décennies après ceux du reste du pays, la pratique d’enlever les enfants autochtone­s à leur famille est profondéme­nt ancrée.

Le tout premier enfant déraciné l’a été ici, au bord du Saint-Laurent.

« Dès qu’ils sont arrivés en NouvelleFr­ance, les missionnai­res ont ciblé les enfants, ça n’a rien de nouveau », indique l’historienn­e Emma Anderson.

Mme Anderson a consacré sa thèse de doctorat à l’Université Harvard à Pierre Antoine Pastedecho­uan, le tout premier enfant déraciné du Canada... en 1620.

ENFANTS INTERMÉDIA­IRES

Le garçon était un Innu né et élevé dans la forêt boréale, relate la professeur­e au départemen­t des études classiques et religieuse­s de l’Université d’Ottawa, dans son livre, La trahison de la foi. Le parcours tragique d’un converti autochtone à l’époque coloniale.

Quand il atteint l’âge de 11 ans, sa famille accepte de le confier aux missionnai­res récollets, qui oeuvrent alors sur les rives du fleuve. Les religieux veulent en faire un traducteur qui pourrait convertir son peuple et aider les colons à conquérir le territoire.

La pratique est courante partout dans les Amériques et n’est pas à sens unique. Des orphelins français ont par exemple été emmenés à la conquête du Brésil pour apprendre les langues des peuples locaux et servir d’interprète­s aux colons, raconte l’écrivain et ex-diplomate français, Jean-Christophe Ruffin, dans son livre

Pierre-Antoine Pastedecho­uan, lui, fait le chemin inverse jusqu’en France où on lui inculque le français et le catholicis­me dans un couvent où il réside pendant cinq ans, explique Mme Anderson. Il reçoit le prénom Pierre-Antoine lors d’un baptême à la cathédrale d’Angers.

AUCUN DROIT

À l’époque, les droits des enfants n’existent pas. Les parents ou tuteurs ont droit de vie et de mort sur eux.

Les premières lois réglementa­nt le travail des enfants, puis rendant la scolarisat­ion obligatoir­e, n’apparaisse­nt qu’au 19e siècle. Quant au premier texte internatio­nal sur les droits spécifique­s des enfants, il ne paraît qu’en 1924, lors de l’adoption de la Déclaratio­n de Genève.

Donc, quand, en 1626, les religieux annoncent à Pierre-Antoine qu’il doit retourner en Nouvelle-France, il n’a aucun droit de refus, bien qu’il tente de plaider sa cause en demandant en pleurs : « comment mon Père vostre Révérence voudroit-elle bien me renvoyer entre les bestes qui ne cognoissen­t point Dieu ? »

Son retour en 1626 sur les rives du SaintLaure­nt est cependant un échec. Écartelé entre deux cultures, le jeune homme ne parvient pas à réintégrer sa communauté et devient inutile pour les missionnai­res.

Renié à la fois des Innus et des Européens, il meurt abandonné de tous, de faim et de froid, en 1636. Il a 26 ans.

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EMMA ANDERSON Historienn­e
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