Le Journal de Montreal

13 ans d es évices pour un enfant de la Baie-James

Un survivant cri du plus ancien pensionnat du Québec révèle son histoire

- ANNE CAROLINE DESPLANQUE­S (voir autre texte).

Kenneth Weistche avait 5 ans lorsqu’il a été arraché à sa famille dans son village natal de Waskaganis­h, au bord de la Baie-James, en 1962. Il a relaté ses 13 années d’abus.

« Les agents des Affaires indiennes sont venus en avion à la fin du mois d’août et ils ont pris tous les enfants, relate le Cri. Je me souviens encore des yeux de ma mère, des yeux rouges. Elle n’arrêtait pas de pleurer. »

Pour Kenneth Weistche, c’est le début des abus qui ont duré des années, qui le marqueront au fer rouge et auxquels plusieurs de ses petits camarades ne survivront pas.

Il a d’abord passé deux ans au pensionnat anglican Bishop Horden Memorial School, sur l’île de Moose Factory, du côté ontarien de la Baie-James. Puis il a été transféré au pensionnat St-Phillip, sur l’île de Fort George, du côté québécois de la baie.

St-Phillip a été le premier pensionnat ouvert au Québec, en 1933. Il a fermé en 1975. L’Église catholique a tenu un autre pensionnat non loin, entre 1938 et 1981 : la Mission Saint-Joseph.

« Je connais des étudiants qui sont morts, confie M. Weistche. Des enfants tués, oui, il y en avait. Ils ont tué beaucoup d’entre nous »

DIRECTEUR PÉDOPHILE

Quand il est arrivé à St-Phillip, à l’âge de 7 ans, l’établissem­ent était dirigé par un pédophile notoire : William Starr.

L’homme a été reconnu coupable en 1993 de 10 chefs d’agression sexuelle sur des garçons de 7 à 14 ans dans un autre pensionnat, en Saskatchew­an, où il a été transféré en 1968.

Peu avant son transfert, en 1965, il était atteint d’une hépatite infectieus­e, une maladie sexuelleme­nt transmissi­ble, d’après un document d’Ottawa.

Après son procès, Starr a déclaré qu’il ne se rappelait pas combien d’enfants il avait abusés, mais qu’il pourrait y en avoir « des centaines ».

Les agressions décrites au procès par les survivants, puis devant la Commission de vérité et réconcilia­tion étaient d’une violence particuliè­rement choquante.

Pour M. Weistche, le cauchemar s’est poursuivi lorsqu’il a été transféré au secondaire, à Noranda. Là, en l’absence de pensionnat, les adolescent­s cris étaient logés dans des « foyers familiaux », des familles choisies et rémunérées par Ottawa.

FOYERS FAMILIAUX

Ce lieu où le jeune Kenneth a vécu avec trois camarades n’avait rien d’un foyer, mais tout d’une maison des horreurs.

« L’homme venait saoul dans notre chambre pour nous abuser sexuelleme­nt la nuit », confie-t-il d’un trait, très vite, comme pour fuir les fantômes qui le hantent depuis.

Quand il a pu quitter Noranda, à 18 ans, M. Weistche a sombré dans l’alcool. Il lui a fallu 10 ans avant d’être sobre à nouveau.

« C’est le gouverneme­nt du Canada qui m’a fait tout ça, grogne-t-il. Partout, il y avait des agents des Affaires indiennes. Ils étaient là, ils voyaient tout. C’est incroyable ce qu’ils nous ont fait. Nous étions juste des enfants. Ils nous ont mis en prison pour le seul fait d’être autochtone­s. »

DES CORPS AILLEURS

L’avocat David Schulze, qui défend des douzaines de survivants cris de la BaieJames, souligne que plusieurs enfants autochtone­s provenant du Québec ont aussi été envoyés dans les pensionnat­s des provinces voisines avant 1950. Les familles pourraient donc devoir aller chercher leurs corps ailleurs.

Les enfants mohawks de Kahnawake et de Kanesatake étaient par exemple transporté­s jusqu’au pensionnat jésuite de Spanish, à Sudbury, en Ontario. Les petits mi’gmaqs, eux, étaient exilés à Shubenacad­ie, en Nouvelle-Écosse.

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PHOTO D’ARCHIVES DESCHÂTELE­TS-NDC Des élèves dans une classe au pensionnat catholique de Fort George en 1939.

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