Le Journal de Montreal

Vraiment pas de pénurie d’emplois très mal rémunérés

Le Québec est encore très loin de faire le plein des fameuses jobs à 25 $ de l’heure si souvent évoquées par le premier ministre François Legault

- JULIEN MCEVOY

Daniel Ciccariell­o constate que les emplois bien payés disparaiss­ent. À 59 ans, ce travailleu­r d’usine est certain qu’il n’y a aucune pénurie de main-d’oeuvre au Québec. Selon lui, on a plutôt affaire à

« une pénurie de bonnes jobs bien payées avec des avantages ».

Pendant 30 ans, le journalier a travaillé pour un lunettier à 19 $ l’heure, avec quatre semaines de vacances, des assurances, « tout le kit ».

En 2015, l’entreprise a été vendue et a déménagé. Depuis, Daniel ne retrouve ni les conditions ni le salaire qu’on lui offrait là-bas.

Quand un emploi est affiché à 18-19 $ de l’heure, « il y a toujours 40-50, voire 100, candidatur­es ». Ces emplois, souvent, viennent avec une formation, des journées de maladie et 3-4 semaines de vacances en partant. Des choses importante­s pour ce diplômé en métallurgi­e qui croit que « ce n’est pas juste une question de salaire ».

Depuis juin, Daniel travaille dans une usine qui fabrique des boîtes postales, à 16 $ l’heure, de 15 h 30 à 23 h 45. Rendu à presque 60 ans, il n’a plus sa « force physique d’avant ».

Après 42 ans sur le marché du travail, son CV est bien rempli et il lui reste du coeur au ventre. Mais il est bloqué à 16 $ de l’heure, sans avantages sociaux ou presque.

« BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN »

Sa situation n’a rien pour surprendre l’économiste Ianik Marcil, même si ce dernier remarque qu’elle pourrait être encore pire si Daniel travaillai­t en restaurati­on, en hôtellerie ou dans le commerce de détail. C’est là où se concentren­t les emplois au salaire minimum à 13,50 $ l’heure.

Pour M. Marcil non plus, il n’y a pas de pénurie de main-d’oeuvre au Québec. Il n’y a que des emplois mal payés dont personne ne veut, même pas les étudiants.

« On entend beaucoup chialer les restaurate­urs et les hôteliers, mais ils payent en moyenne 14,50 $ de l’heure contre 22 $ pour la moyenne des employeurs du Québec », illustre-t-il.

Il rappelle que 300 000 Québécois sont au chômage et que le secteur de la restaurati­on et de l’hôtellerie a 11 080 postes à pourvoir.

« C’est beaucoup de bruit pour rien : ce ne sont que 7,5 % des 146 865 postes vacants au Québec. Si tu n’arrives pas à survivre en traitant bien ton monde, c’est peut-être toi, le problème », assène l’économiste.

S’il existe de « vrais problèmes de recrutemen­t », ils sont dans le secteur de la santé, insiste-t-il.

UNE QUESTION DE DÉCENCE

Pourquoi alors autant d’affiches « On embauche » chez McDonald’s, A&W, Dollarama, Ardène, H&M et la majorité des grandes et moins grandes chaînes ?

« Car ils payent au salaire minimum », tranche Roxane Larouche en haussant les épaules.

Cette syndicalis­te des TUAC représente des travailleu­rs du commerce de détail depuis plus de 20 ans. Elle croit fermement que si les employeurs veulent recruter et garder les gens, « ils doivent commencer à donner des salaires et des horaires qui ont de l’allure et arrêter de les traiter comme des employés jetables ».

Oui, il existe de bons exemples, comme celui de Simons, « reconnu depuis toujours comme le meilleur employeur du commerce de détail au Québec, avec des salaires qui commencent à 16 $ et de sérieux avantages », note Mme Larouche.

De son côté, McDo n’a pas annoncé de hausses salariales au Canada pour faire face à la situation actuelle, alors qu’elle l’a fait aux États-Unis.

Le vrai baromètre, selon Roxane Larouche, est la quincaille­rie, où les taux de roulement des employés sont plus bas et où les besoins des employeurs sont plus précis.

Les TUAC sont particuliè­rement fiers de la nouvelle convention collective signée dans un RONA de Longueuil, laquelle fera bientôt office de modèle pour toute la chaîne.

« Les salaires atteignent 19 $ de l’heure, il y a de la flexibilit­é dans les horaires, des assurances, tout ce que les gens veulent pour rester longtemps », assure-t-elle.

Comme quoi, « quand on veut, on peut » garder ses employés.

« La meilleure façon de retenir ton monde, c’est de bien les payer », dit-elle.

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PHOTO AGENCE QMI, MARIO BEAUREGARD La principale raison pour laquelle les employeurs du commerce de détail ne pourvoient pas les postes affichés, « c’est le salaire », disent un économiste et une syndicalis­te. Sur la photo, le Centre Eaton presque vide, à Montréal. En mortaise Daniel Ciccariell­o, 59 ans, qui gagne 16 $ l’heure malgré un CV bien rempli.
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SOURCE : STATISTIQU­E CANADA, PREMIER TRIMESTRE 2021
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IANIK MARCIL Économiste

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