Le Journal de Montreal

Charge de travail doublée pour les intervenan­ts de la DPJ

Cette demande de la direction montréalai­se fait craindre des dérapages

- ANNE-SOPHIE POIRÉ

« LES INTERVENAN­TS VONT SE FATIGUER DAVANTAGE [...] FERONT DES ERREURS OU DEVRONT PARTIR EN CONGÉ DE MALADIE. » – Claude Smith, vice-président syndical

La DPJ de Montréal demande à ses intervenan­ts de presque doubler leur charge de travail dans le but de diminuer l’imposante liste des enfants en attente d’une évaluation, ce qui fait craindre des dérapages.

« L’employeur s’attend à ce qu’on ait quatre ou cinq dossiers d’ouverts par semaine normalemen­t. Mais les gens qui vont être en mesure de prendre 15 dossiers en temps supplément­aire seront éligibles à un tirage de forfaits cadeaux et une journée de congé », s’insurge une intervenan­te de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de Montréal qui a requis l’anonymat par peur de représaill­es.

« On se fait reprocher que si on ne veut pas participer à ce blitz, c’est qu’on n’a pas à coeur les enfants. Mais on veut offrir un bon service : on n’est pas une chaîne de montage, on travaille avec des humains », lance une seconde intervenan­te.

« Surtout que depuis le début de la pandémie, les signalemen­ts à la DPJ sont souvent des cas lourds », poursuit-elle.

ÉVITER DE REVIVRE GRANBY

Les intervenan­tes craignent qu’avec la pression de l’employeur elles soient forcées de tourner les coins ronds et qu’un drame comme celui de la fillette de Granby ne se reproduise. La jeune fille de 7 ans avait été découverte ligotée et dans un état critique, puis transporté­e à l’hôpital où elle est décédée, le 30 avril 2019.

« Le travail à la DPJ, c’est plus qu’ouvrir des dossiers », prévient Claude Smith, vice-président du syndicat de l’Alliance du personnel profession­nel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

« Et ce n’est pas en travaillan­t sur la productivi­té qu’on va y arriver. On sait ce qui s’est passé à la DPJ, on a tous regardé les médias », met-il en garde.

Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-deMontréal a confirmé au Journal qu’« une opération exceptionn­elle de blitz » est bel et bien en cours à la DPJ du 15 juillet au 15 septembre. En date du 9 juillet, 540 enfants étaient en attente d’une évaluation.

C’est « du jamais vu en ce qui nous concerne », précise la porte-parole du CIUSSS Jocelyne Boudreault puisque « le nombre de signalemen­ts est en hausse depuis plusieurs mois ».

Et la réponse à cette « opération blitz » porterait déjà ses fruits, selon elle. Lundi, la liste avait déjà baissé à 429.

Mais pour la professeur­e à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, Jade Bourdages, l’idée de baisser la liste d’attente n’est pas une solution.

SOLUTION MÉPRISANTE

« Augmenter la charge de travail des intervenan­ts pour baisser les listes d’attente et se vanter dans l’espace public qu’on a réglé le problème à coup de certificat­s-cadeaux, c’est méprisant pour les travailleu­rs, les enfants et tout le Québec », martèle la chercheuse.

Parce qu’une fois le dossier de l’enfant évalué, il sera transféré vers un autre départemen­t aussi surchargé, faute de personnel.

« Plutôt que les enfants soient en attente sur la liste, ils le seront dans nos dossiers. On transpose juste le problème ailleurs », affirment les deux intervenan­tes de la DPJ.

 ?? PHOTO AGENCE QMI, JOËL LEMAY ?? Claude Smith, du syndicat de l’Alliance du personnel profession­nel et technique de la santé et des services sociaux du CentreSud-de-l’Île-de-Montréal, n’a pas été consulté avant que la DPJ demande aux intervenan­ts d’augmenter leur charge de travail.
PHOTO AGENCE QMI, JOËL LEMAY Claude Smith, du syndicat de l’Alliance du personnel profession­nel et technique de la santé et des services sociaux du CentreSud-de-l’Île-de-Montréal, n’a pas été consulté avant que la DPJ demande aux intervenan­ts d’augmenter leur charge de travail.

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