Le Journal de Montreal

Les grands malaises

- josee.legault @quebecorme­dia.com @joseelegau­lt JOSÉE LEGAULT Blogueuse au Journal Politologu­e, auteure, chroniqueu­se politique

Par quel bout prendre l’« affaire » Stéphan Bureau ? À notre époque lourdement polarisée, ses ramificati­ons sont si nombreuses qu’on ne sait plus par où commencer.

Rappelons que le journalist­e d’expérience Stéphan Bureau s’est trouvé blâmé par l’ombudsman de Radio-Canada pour son entrevue « controvers­ée » de mai dernier avec le très « controvers­é » infectiolo­gue français Didier Raoult.

Entre autres choses, on lui a reproché de ne pas avoir suffisamme­nt « encadré » les affirmatio­ns de son invité. Comme si toute personnali­té « controvers­ée » se devait d’office d’être précédée d’un traité détaillé sur ses errements pourtant déjà connus.

Refusant de s’en excuser sur les ondes de son émission Bien entendu, M. Bureau y est allé d’une réaction sans appel : « Je laisserai donc à d’autres le soin de ramper et de demander pardon. »

Laissons donc à d’autres, aussi, l’art prisé de diaboliser tout ce qui sort du diffuseur public, bon ou mauvais. Saluons plutôt la droiture de Stéphan Bureau d’affirmer haut et fort son profession­nalisme, par ailleurs solidement établi depuis longtemps.

Du même coup – et c’est majeur –, il s’adresse à ceux et celles qui, tous médias confondus, se verraient un jour confrontés à des reproches similaires. « Tenez bon », semble-t-il leur souffler à l’avance.

QUESTION ESSENTIELL­E

Alors qu’en Occident, la polarisati­on extrême des débats est décuplée par le trumpisme haineux et les « chambres d’écho » pullulant sur les médias dits sociaux, l’« affaire » Stéphan Bureau fera sûrement l’objet un jour d’une thèse doctorale en communicat­ion ou en science politique.

Car elle pose une question essentiell­e. Dans nos démocratie­s, comment retrouver la voie – et la voix –, nous ramenant à des débats politiques et d’idées certes musclés, mais non moins nuancés et respectueu­x de perspectiv­es divergente­s et de ceux et celles les exprimant ?

Le hasard faisant bien les choses, Stéphan Bureau recevait hier l’auteur Jean Birnbaum, dont l’essai Le courage de la

nuance, tombe justement à point nommé. Décrivant les réseaux sociaux comme les nouveaux « champs de bataille » de notre époque, Jean Birnbaum en appelle en effet au courage de la nuance, du doute, de l’hésitation et du respect de son « adversaire ».

Voire même du droit inaliénabl­e de changer d’idée un jour. Bref, du droit à la réflexion sans devoir en finir lapidé virtuellem­ent sur le web.

Même la journalist­e scientifiq­ue ayant porté plainte contre Stéphan Bureau est maintenant victime d’une ignoble campagne de cyberharcè­lement par les disciples de Raoult. Polarisati­on extrême, vous dites ?

TENDANCE LOURDE

La polarisati­on n’a pourtant rien de nouveau, précise Jean Birnbaum. Ce qui l’est, c’est son caractère jusqu’au-boutiste et de plus en plus souvent ordurier.

Une chose est sûre. Nous vivons tous dans des maisons de verre. Sous haute surveillan­ce autoprocla­mée de ceux qui, seuls ou en tirs groupés, lancent leurs pierres, confortabl­ement tapis derrière leurs avatars anonymes.

D’où l’inquiétude montante dans un monde où la violence verbale gagne vite du terrain et où les zones de gris sont évacuées d’un coup de clavier.

La lumière réussit néanmoins à se faufiler. Des échanges constructi­fs éclairent encore parfois le chemin. La polarisati­on extrême et la vulgarité sont cependant des tendances lourdes.

Vous me direz qu’on s’éloigne fort loin de l’« affaire » Stéphan Bureau. Au contraire. Elle est le reflet parfait d’une bien drôle d’époque où la quête de la nuance devient un acte de courage.

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L’« affaire » Stéphan Bureau fera sûrement l’objet un jour d’une thèse doctorale en communicat­ion ou en science politique.

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