Le Journal de Montreal

Des hirondelle­s nourrissen­t leurs petits aux pesticides

Au moins 47 contaminan­ts ont été décelés par des chercheurs dans leurs nids

- MATHIEU-ROBERT SAUVÉ

Des traces d’au moins 47 pesticides ont été décelées dans les nids d’hirondelle­s bicolores du sud du Québec par des biologiste­s de l’Université de Sherbrooke.

Le constat est inquiétant : les hirondelle­s bicolores rapportent à leur nid des insectes empreints de pesticides, révèlent les chercheurs dans un article de la revue Ecological Applicatio­ns.

Près d’un échantillo­n examiné sur deux (46 %) contenait au moins un contaminan­t.

Et toutes les régions à l’étude, comptant 10 000 kilomètres de terres agricoles en Montérégie et en Estrie, sont touchées.

Même à des endroits où les produits chimiques sont peu utilisés, on en trouve des traces dans la nourriture rapportée aux oisillons sur 40 fermes du sud du Québec.

« C’est la grande surprise de notre étude ; même dans le cas des petites fermes biologique­s, les oiseaux nourrissen­t leurs oisillons avec des insectes contaminés », mentionne Fanie Pelletier, professeur­e de biologie à l’Université de Sherbrooke.

Elle explique ce phénomène par le fait que les hirondelle­s peuvent couvrir un rayon de cinq kilomètres autour de leur nid, ce qui les amène à chasser des insectes bien au-delà des pâturages et champs « bio ».

SIX ANS D’ÉTUDES

Pendant six ans, l’équipe de recherche a prélevé des échantillo­ns dans 400 nichoirs aménagés dans des fermes privées de la plaine du Saint-Laurent durant la période de nidificati­on, en avril et mai.

Grâce à de petites portes aménagées sur le côté, les chercheurs pouvaient recueillir des amoncellem­ents d’insectes rapportés par les parents et que les oisillons n’avaient pas avalés.

C’est l’analyse de ces boules d’insectes de la grosseur d’un petit pois qui a permis d’identifier la présence de pesticides.

« Toutes les fermes étaient touchées, mais la concentrat­ion de pesticides était supérieure dans les exploitati­ons industriel­les », explique le chimiste Jean-Philippe Bellenger, qui a supervisé le travail d’analyse des composés avec un collègue.

L’atrazine – un puissant herbicide – et les néonicotin­oïdes – une famille d’insecticid­e surnommée « tueurs d’abeilles » – étaient parmi les produits identifiés.

Le tristement célèbre glyphosate – présent dans le Roundup – n’était quant à lui pas ciblé. Les chercheurs ont toutefois trouvé des traces de caféine et d’acétaminop­hène.

Cela s’explique par le fait que les insectes passent beaucoup de temps dans l’eau en phase larvaire, ce qui leur donne le temps d’accumuler des produits rejetés par les égouts agricoles ou municipaux.

DÉCLIN DES OISEAUX CHAMPÊTRES

L’étude de l’Université de Sherbrooke vient documenter un problème qui inquiète déjà les ornitholog­istes : le déclin marqué des oiseaux champêtres.

L’hirondelle bicolore, par exemple, a subi une diminution de 81 % des effectifs depuis 1970, selon l’organisme QuébecOise­aux.

« Nous croyons que l’usage de pesticides a un effet sur les population­s d’oiseaux. D’une part en diminuant le nombre d’insectes, dont les insectivor­es se nourrissen­t. D’autre part en influençan­t le développem­ent des oisillons. Mais notre étude n’avait pas pour objectif de s’attarder à cette question. Nous souhaitons que d’autres travaux l’examinent. »

La recherche de l’Université de Sherbrooke demeure tout de même « l’une des plus vastes études à long terme sur la présence de pesticides », ajoute la biologiste.

 ?? PHOTOS COURTOISIE ?? Une hirondelle bicolore comme celleci, aperçue dans des champs du sud du Québec, peut capturer jusqu’à une dizaine d’insectes en un seul vol pour nourrir ses petits.
PHOTOS COURTOISIE Une hirondelle bicolore comme celleci, aperçue dans des champs du sud du Québec, peut capturer jusqu’à une dizaine d’insectes en un seul vol pour nourrir ses petits.

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