Le Journal de Montreal

Cette tragédie ne doit rien au hasard

- JOSÉE LEGAULT josee.legault@quebecorme­dia.com

Dès la fin de la première vague de la pandémie, le Québec comptait déjà pour la moitié des décès dus à la COVID-19 au Canada. Au 1er juin 2020, 5210 Québécois en étaient morts, dont 70 % vivaient en CHSLD privés ou publics.

Plusieurs sont morts seuls, dans des conditions atroces. Ils se sont retrouvés emmurés dans un univers parallèle, caché du reste de la société. Or, cette tragédie ne tient pas du hasard.

Elle découle en partie de l’extrême négligence dont les résidents de ces établissem­ents faisaient l’objet depuis longtemps. C’est dans ce contexte que le réflexe du gouverneme­nt Legault, comme n’importe quel autre au Québec l’aurait fait, fut de préparer les hôpitaux comme il se devait, mais pas les CHSLD.

Le rapport final de la Protectric­e du citoyen le confirme. Comment s’étonner que, dans ses CHSLD, le Québec, toutes proportion­s gardées, ait eu beaucoup plus de morts qu’ailleurs au pays ?

Cechoix,ilnepartic­ipedoncpas d’une sombre intention. François Legault n’est pas un sans-coeur. L’immense machine du ministère de la Santé (MSSS), détraquée par les réformes Barrette et conditionn­ée depuis des années à négliger ses clientèles vulnérable­s, n’y a tout simplement pas pensé.

Depuis bien avant la pandémie, le MSSS croule aussi sous le poids débilitant d’une montagne d’organigram­mes plus indéchiffr­ables les uns que les autres. Prenez celui, hallucinan­t, que vous voyez ici.

Tiré du Plan du MSSS de 2006 en cas de pandémie d’influenza, il est censé expliquer la « structure de coordinati­on du réseau de la santé et des services sociaux », qui serait créée pour la « gérer ». Vous y comprenez quelque chose ?

DEUX UNIVERS PARALLÈLES

Depuis 2006, comme au fédéral, les gouverneme­nts du Québec disposent en effet d’un plan pour lutter contre une pandémie d’influenza ou de tout autre virus respiratoi­re hyper contagieux. Des plans par la suite oubliés par les gouverneme­nts subséquent­s.

Le MSSS et son ministre du temps, un certain Philippe Couillard, avaient préparé ce plan. Actualisé en 2008, il le fut aussi in extremis le 9 mars 2020 – quatre jours à peine avant le déclenchem­ent de l’urgence sanitaire par M. Legault.

Il est sûr que la version de 2006, montée bien avant les réformes ultra-centralisa­trices de Gaétan Barrette, est en partie déphasée.

Ce plan prévoyait néanmoins les grandes lignes de ce qui devait être fait AVANT qu’une pandémie frappe, dont l’approvisio­nnement pour tout le Québec en équipement­s de protection, la formation en prévention des infections, etc.

Une fois la pandémie éclatée, il notait l’importance vitale qu’auraient les proches aidants. Eh oui. Prévoyant qu’il pourrait y avoir jusqu’à 8500 morts au Québec, il expliquait même comment disposer des dépouilles.

Le plan de 129 pages précisait qu’il faudrait préparer les hôpitaux. Ce que le gouverneme­nt Legault a bien fait. Et les CHSLD ? Sans surprise, ce plan n’en disait pas grand-chose.

VER DANS LA POMME

En termes vagues, il demandait aux « milieux d’hébergemen­t » de se doter d’un plan interne d’urgence. Puis, à la toute dernière page, il mentionne ceci qui, depuis la première vague de COVID-19, semble annoncer l’hécatombe du printemps 2020 : dans les épidémies d’influenza saisonnièr­e, les éclosions sont déjà « surtout » en CHSLD.

Ah bon ? Comme si c’était chose normale. Cela laisse supposer que lors d’une pandémie, ce serait encore bien pire. Cette grande fragilité des CHSLD aux infections, connue du MSSS, n’aurait-elle pas dû commander qu’on les prépare activement en amont de la première vague de COVID ?

Le ver dans la pomme, il est là, et depuis bien avant encore. Les décideurs et la société en étaient venus à trouver normal que nos CHSLD soient des foyers « naturels » d’éclosions de grippe, de gastro, etc. Imaginez le dommage en temps de pandémie.

Or, cela n’a rien de normal. S’ils sont des foyers d’éclosion, c’est parce que plusieurs sont vétustes. Et que le

personnel, l’équipement de protection et la formation en prévention des infections manquent depuis longtemps.

Cette réalité déplorable, nos gouverneme­nts et nous l’avions acceptée. Par fatalisme, docilité ou indifféren­ce. Aux vieux très malades, on lançait les miettes restantes du Trésor public.

Tellement que, même en amont de la 1re vague, le réflexe des décideurs fut d’oublier les CHSLD. Parce qu’ils le sont de toute manière. En cela, les milliers de morts et de familles traumatisé­es servent une puissante leçon aux gouverneme­nts et à la société.

Pour pouvoir dire « plus jamais », il faudra s’assurer qu’entre les crises, ces milieux dits « de vie » soient enfin à la hauteur de la dignité à laquelle les Québécois les plus fragiles ont droit. Ne pas oublier, c’est ça.

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