Le Journal de Montreal

Contrat de 23 M$ à son ex-employeur

Un sous-ministre adjoint à la Santé a contacté un ami chez Deloitte pour une entente de gré à gré

- PATRICK BELLEROSE

Grâce à la suspension des règles accordée par l’état d’urgence, un sous-ministre adjoint du ministère de la Santé a pu contacter directemen­t un ami chez Deloitte pour octroyer un contrat de 23 millions $, sans appel d’offres, à son ancien employeur.

Une déclaratio­n d’intérêts, obtenue par notre Bureau parlementa­ire, révèle que le sous-ministre adjoint à la Direction générale des projets spéciaux, Jean Maitre, a contacté directemen­t la firme où il a travaillé de 1997 à 2002 pour lui accorder cet important contrat.

Pour 23 M$ sur deux ans, Deloitte devait principale­ment optimiser la prise de rendezvous pour le dépistage de la COVID-19 et communique­r les résultats négatifs par textos ou par courriel, grâce à la plateforme Health Connect.

L’entente conclue en octobre 2020 avait fait sursauter des membres de l’industrie, selon qui Québec aurait pu économiser jusqu’à 9 millions $ en s’ouvrant à la concurrenc­e, rapportait notre Bureau d’enquête à l’époque.

« J’ai un lien d’amitié avec un employé de la firme. J’ai communiqué avec cet employé pour obtenir le nom de l’associé responsabl­e de la pratique Saleforce [sic]. Nous devions trouver une firme rapidement pour le déploiemen­t d’une plateforme de dépistage car le fournisseu­r en place au MSSS était incapable

de livrer ce qui avait été promis », écrit Jean Maitre dans une déclaratio­n datée du 24 février 2021.

Le sous-ministre adjoint précisait ensuite que les discussion­s commercial­es ont eu lieu avec les associés responsabl­es de la firme et que son ami n’est pas en position d’autorité.

Depuis, Deloitte a obtenu au moins quatre contrats supplément­aires, de gré à gré, en lien avec Health Connect (voir encadré).

APPEL À LA PRUDENCE

En réponse à cette déclaratio­n d’intérêts, la responsabl­e de l’éthique au ministère de la Santé et des Services sociaux a appelé le sous-ministre adjoint à la prudence.

Amélie Côté-Tremblay écrit que la relation entre Jean Maitre et son ami chez Deloitte « devait être déclarée ».

« Toutefois, le risque que vous soyez indument influencé dans votre prise de décision en raison de cette relation est faible », écrit-elle, puisque cette personne n’est pas en position d’autorité au sein de la firme et ne pourra pas en retirer spécifique­ment d’avantage financier.

Par contre, Mme Côté-Tremblay estime que le statut d’ex-employé de M. Maitre chez Deloitte peut créer une apparence de conflit d’intérêts.

« Dans le cas présent, bien plus que votre relation d’amitié avec un employé de Deloitte, ce sont les liens que vous auriez pu maintenir avec l’équipe de direction de la firme à la suite de votre passage à

titre de directeur principal qui peuvent entraîner une apparence de conflit d’intérêts », écrit-elle, en soulignant que la mise en garde s’applique à l’ensemble de ses anciens employeurs.

OBTENIR D’AUTRES SOUMISSION­S

La spécialist­e en éthique l’invite donc, dans le cadre de futurs contrats de gré à gré, à « obtenir d’autres soumission­s auprès de firmes concurrent­es afin de s’assurer d’être objectif et éviter tout favoritism­e ».

Jean Maitre a décliné notre demande d’entrevue. Le ministère de la Santé rappelle que l’état d’urgence permet l’octroi de contrat de gré à gré. « Dans ce contexte, un appel d’offres et un comité de sélection n’étaient pas nécessaire­s », écrit une porte-parole.

Le MSSS ajoute que la plateforme Health Connect « a été d’une grande utilité depuis son déploiemen­t en décembre 2020 ».

 ?? CAPTURES D’ÉCRAN, PHOTOS D’ARCHIVES CHANTAL POIRIER ET LINKEDIN ?? Dans la déclaratio­n d’intérêts ci-dessus, le sous-ministre adjoint Jean Maitre explique avoir contacté un ami chez son ancien employeur. À droite, la réponse de la responsabl­e de l’éthique au ministère de la
Santé et des Services sociaux. Jean Maitre, qu’on peut apercevoir sur la photo de droite, a refusé notre demande d’entrevue.
CAPTURES D’ÉCRAN, PHOTOS D’ARCHIVES CHANTAL POIRIER ET LINKEDIN Dans la déclaratio­n d’intérêts ci-dessus, le sous-ministre adjoint Jean Maitre explique avoir contacté un ami chez son ancien employeur. À droite, la réponse de la responsabl­e de l’éthique au ministère de la Santé et des Services sociaux. Jean Maitre, qu’on peut apercevoir sur la photo de droite, a refusé notre demande d’entrevue.

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