Contrat de 23 M$ à son ex-employeur
Un sous-ministre adjoint à la Santé a contacté un ami chez Deloitte pour une entente de gré à gré
Grâce à la suspension des règles accordée par l’état d’urgence, un sous-ministre adjoint du ministère de la Santé a pu contacter directement un ami chez Deloitte pour octroyer un contrat de 23 millions $, sans appel d’offres, à son ancien employeur.
Une déclaration d’intérêts, obtenue par notre Bureau parlementaire, révèle que le sous-ministre adjoint à la Direction générale des projets spéciaux, Jean Maitre, a contacté directement la firme où il a travaillé de 1997 à 2002 pour lui accorder cet important contrat.
Pour 23 M$ sur deux ans, Deloitte devait principalement optimiser la prise de rendezvous pour le dépistage de la COVID-19 et communiquer les résultats négatifs par textos ou par courriel, grâce à la plateforme Health Connect.
L’entente conclue en octobre 2020 avait fait sursauter des membres de l’industrie, selon qui Québec aurait pu économiser jusqu’à 9 millions $ en s’ouvrant à la concurrence, rapportait notre Bureau d’enquête à l’époque.
« J’ai un lien d’amitié avec un employé de la firme. J’ai communiqué avec cet employé pour obtenir le nom de l’associé responsable de la pratique Saleforce [sic]. Nous devions trouver une firme rapidement pour le déploiement d’une plateforme de dépistage car le fournisseur en place au MSSS était incapable
de livrer ce qui avait été promis », écrit Jean Maitre dans une déclaration datée du 24 février 2021.
Le sous-ministre adjoint précisait ensuite que les discussions commerciales ont eu lieu avec les associés responsables de la firme et que son ami n’est pas en position d’autorité.
Depuis, Deloitte a obtenu au moins quatre contrats supplémentaires, de gré à gré, en lien avec Health Connect (voir encadré).
APPEL À LA PRUDENCE
En réponse à cette déclaration d’intérêts, la responsable de l’éthique au ministère de la Santé et des Services sociaux a appelé le sous-ministre adjoint à la prudence.
Amélie Côté-Tremblay écrit que la relation entre Jean Maitre et son ami chez Deloitte « devait être déclarée ».
« Toutefois, le risque que vous soyez indument influencé dans votre prise de décision en raison de cette relation est faible », écrit-elle, puisque cette personne n’est pas en position d’autorité au sein de la firme et ne pourra pas en retirer spécifiquement d’avantage financier.
Par contre, Mme Côté-Tremblay estime que le statut d’ex-employé de M. Maitre chez Deloitte peut créer une apparence de conflit d’intérêts.
« Dans le cas présent, bien plus que votre relation d’amitié avec un employé de Deloitte, ce sont les liens que vous auriez pu maintenir avec l’équipe de direction de la firme à la suite de votre passage à
titre de directeur principal qui peuvent entraîner une apparence de conflit d’intérêts », écrit-elle, en soulignant que la mise en garde s’applique à l’ensemble de ses anciens employeurs.
OBTENIR D’AUTRES SOUMISSIONS
La spécialiste en éthique l’invite donc, dans le cadre de futurs contrats de gré à gré, à « obtenir d’autres soumissions auprès de firmes concurrentes afin de s’assurer d’être objectif et éviter tout favoritisme ».
Jean Maitre a décliné notre demande d’entrevue. Le ministère de la Santé rappelle que l’état d’urgence permet l’octroi de contrat de gré à gré. « Dans ce contexte, un appel d’offres et un comité de sélection n’étaient pas nécessaires », écrit une porte-parole.
Le MSSS ajoute que la plateforme Health Connect « a été d’une grande utilité depuis son déploiement en décembre 2020 ».