Le Québec sens dessus dessous
Il faut, dit-on, tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Je devrais aussi peutêtre tourner sept fois mon stylo plume dans mon encrier avant d’écrire. Car je sais que ce que je vais écrire sera dur à entendre.
Le Québec, seul bastion de résistance linguistique et culturelle en Amérique du Nord, semble avoir perdu pied. Nous vivons dans une société de contre-courant, à contrejour, qui nous renvoie une image de nous-mêmes en porte-à-faux avec les quelques valeurs héritées d’un humanisme que l’on croyait enraciné dans la modernité. Un humanisme vanté par les élites qui nous ont éduqués au sortir de notre « grande noirceur » d’avant la Révolution tranquille.
Je n’écarte pas le choc subi par la pandémie qui nous touche comme elle touche d’ailleurs la planète entière. Mais les vieux pays d’Europe, par exemple, ont une épaisseur historique qui leur permet d’absorber moins violemment les retombées de la crise sanitaire mondiale.
DÉSORGANISATION
Au Québec, nos établissements de santé, nos écoles et nos services sociaux se sont révélés être des abysses de désorganisation. Des CHSLD qu’on avait souhaité être des lieux de bonté, d’efficacité et de compétence sont désormais marqués au fer rouge de l’histoire québécoise.
Que dire de l’incompréhensible gabegie dans le système hospitalier ? Attendre des années pour une chirurgie, des mois pour un rendez-vous médical et des heures pour une consultation urgente. Qui ose prétendre que tous les rapports et les études, une paperasse qui s’accumule sans cesse, qui finissent par être tablettés, ont apporté des solutions ?
Et voilà que des voix s’élèvent, anglophones, certes, mais aussi francophones pour affirmer que nos lois qui visent à freiner notre assimilation sont avant tout des lois qui divisent et déchirent les Québécois. Cette manière brutale et haineuse de nier le droit du Québec français de protéger sa majorité et d’affirmer son identité distincte grâce à la laïcité révèle l’ampleur du mépris à notre endroit de trop d’anglophones québécois. Et cela, hélas, avec la bénédiction de francophones honteux de leur héritage. Des francophones qui se croient supérieurs parce qu’ils parlent anglais. Mais sans connaître trop souvent la culture et la littérature indissociables du génie de la langue anglaise elle-même.
DÉSARROI
Est-ce une enflure verbale que de parler du désarroi québécois aujourd’hui ?
Les Anglo-Québécois sont aussi à l’évidence plongés dans le désarroi. Ils voient le PLQ leur glisser sous les pieds. Comprennent-ils que leur allergie à la loi 101 a fini par altérer leur appartenance au Québec ?
Le refus de la souveraineté par la majorité francophone à travers les deux référendums ne les a pas calmés. Voilà que l’idée même d’un Québec officiellement français semble leur être intolérable. Comme l’engouement populaire pour la CAQ, dont ils comprennent qu’elle ratisse large au point d’affaiblir désormais le seul parti au Québec qui leur assurait encore un partage du pouvoir.
Cela explique sans doute pourquoi l’accommodement dont ils faisaient preuve dans le passé à l’égard des lois protégeant le français devient maintenant problématique, voire intolérable à leurs yeux.