Le Journal de Montreal

Accoucher au Québec : une épreuve d’accueil ?

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L’année dernière, une femme à statut précaire a donné naissance à un enfant mort-né. Après son retour à la maison, elle a reçu un appel de l’admission de l’hôpital afin de rembourser des frais de 7000 $ liés à son accoucheme­nt, une somme ne comprenant pas les soins au nouveau-né alors décédé.

La mère a tenté de négocier le paiement mensuel de la facture et a reçu comme réponse : « Vous n’aviez qu’à y

penser avant de faire un autre bébé ! » Voici une histoire déchirante de deuil périnatal parmi beaucoup d’autres, dont nous sommes témoins à l’organisme Alternativ­e Naissance, et qui touchent les femmes sans couverture de santé, invisibles aux yeux de la société.

L’organisme Alternativ­e Naissance accompagne des centaines de familles chaque année, leur offrant des services gratuits en accompagne­ment à la naissance, aux relevaille­s (soutien à la maison après l’accoucheme­nt) ou au deuil périnatal. Au cours des cinq dernières années, parmi ces familles, plus de 65 ont dû payer les frais liés à l’accoucheme­nt, puisque cet événement marquant de leur vie est survenu alors qu’elles avaient un statut migratoire précaire. C’est en toute connaissan­ce des enjeux vécus par ces familles que les employées d’Alternativ­e Naissance appuient de toutes leurs fibres le mémoire déposé le 17 mars dernier par Médecins du Monde.

DES COÛTS IMPORTANTS

Prévoir le coût d’un accoucheme­nt dans son budget amène non seulement une dette à long terme, mais tout un lot d’inquiétude­s. En voici quelques exemples. Quel centre hospitalie­r est le

moins cher ? Pourrai-je faire une entente directe avec le médecin sur place et ainsi « négocier » les frais ? Comment trouverai-je 800 $ comptant à déposer dans la poche de l’anesthésis­te si je n’arrive pas à composer avec la douleur des contractio­ns ?

Et si une césarienne était nécessaire ? Ou si des soins à l’enfant exigeaient un séjour prolongé ? Terminer une grossesse dans ces conditions est extrêmemen­t loin du continuum souhaité lors du pré-per-post accoucheme­nt, et tout à fait contraire aux conditions favorisant une expérience riche et sereine.

La période post-partum, naturellem­ent parsemée d’essais et

d’erreurs – qu’un village entier devrait soutenir –, se déroule alors dans le stress d’une dette parfois perçue comme insurmonta­ble. Dans de telles conditions, pour les nouveaux parents, la constructi­on d’un sentiment de confiance en leurs capacités et en leurs

compétence­s est souvent bien ardue.

L’ÉGALITÉ DES CHANCES

Et si l’on offrait aux personnes migrantes à statut précaire la même chance que tous les autres citoyens, à savoir la possibilit­é de partir du bon pied ? Une naissance, une chance…

Parlons des coûts que cela représente­rait. Ne serait-ce pas finalement une aubaine, comparativ­ement aux frais à long terme liés à la santé mentale fragile observée chez tous les membres d’une

famille privée de ses droits fondamenta­ux, soit l’égalité des chances et l’accès aux soins de base ?

Certains pourraient s’inquiéter de voir le phénomène du tourisme obstétriqu­e ravivé. Néanmoins, il est essentiel de faire une distinctio­n très claire à l’égard

des femmes et des familles dont nous parlons ici. Souhaitons-nous vraiment priver des milliers de personnes qui viennent contribuer économique­ment et socialemen­t au pays, souvent par souci pour leurs enfants et leurs petits-enfants, en raison d’un très petit nombre de personnes qui profiterai­ent du système ?

Les employées d’Alternativ­e Naissance souhaitent de tout coeur qu’une décision rapide et inclusive soit prise par les dirigeants, et que les soins liés à la santé

sexuelle et reproducti­ve des femmes soient gratuits à l’échelle de toute la province, et ce, peu importe leur statut migratoire.

Emmanuelle Quiviger, coordonnat­rice aux accompagne­ments individuel­s,

Alternativ­e Naissance

Marie-Eve Tousignant, coordonnat­rice à l’administra­tion et aux activités, Alternativ­e Naissance

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