Le paradoxe du projet de loi 96
Il y a deux manières de parler du projet de loi 96.
La première consiste à se pencher sur les réactions qu’il suscite.
Elle n’est pas inutile. Elle nous permet de mieux comprendre où en est symboliquement la société québécoise, quels clivages la traversent, quels ressorts la propulsent.
QUÉBEC
Et nous savons ainsi que le moindre geste pour assurer l’affirmation et la défense de la langue française sera perçu comme une forme de persécution par les anglos radicaux.
La deuxième se situe sur un autre registre. Il s’agit de voir si le projet de loi 96 peut renverser la tendance à l’anglicisation diagnostiquée depuis 25 ans au moins. La réponse est malheureusement négative. Et le gouvernement investit une énergie politique incroyable dans ce projet mal configuré.
Non pas qu’on ne trouve rien de valable dans ce projet de loi.
Par exemple, il devrait aller de soi que les nouveaux arrivants, au bout de six mois, communiquent en français avec l’État québécois et les agences qui en dépendent.
Le français ne saurait être optionnel au Québec.
Si c’était de moi, il n’y aurait pas de délais, d’ailleurs.
Si nous voulons que les immigrés apprennent le français et vivent en français, ils doivent y être incités et même obligés par les institutions.
Ce n’est pas l’amour pur qui poussera vers le français, mais la nécessité. L’amour viendra après. En un mot, il ne faut pas avoir le choix d’apprendre le français pour vivre au Québec.
Dans le même esprit, il est bien de le concrétiser de mille manières dans la pratique administrative et juridique de l’État.
Mais sur le fond des choses, le projet de loi ne va pas assez loin, car le gouvernement s’est enfermé dans des paramètres qui le paralysent. En un mot, il s’est interdit l’application de la loi 101 au cégep, même s’il est conscient que l’anglicisation du réseau collégial est un problème majeur, qui exige une réponse vive et urgente.
Alors il cherche à contenir la croissance du réseau anglophone, mais se perd en complications administratives qui risquent de se retourner contre lui. On a quelque peu l’impression de revivre la loi 22 de 1974, une loi inutilement compliquée qui faisait la moitié du chemin pour défendre le français. Trois ans plus tard venait la loi 101, qui clarifiait les choses.
De même, la protection du français est indissociable d’une réduction des seuils d’immigration à nos capacités d’intégration et de francisation. Au moment où le lobby patronal plaide pour une augmentation des seuils à 80 000, on conviendra que le débat public est déconnecté des exigences élémentaires liées à la défense du français.
CÉGEPS
Résumons : le projet de loi 96 envoie un bon signal : le français a besoin d’être pris en charge politiquement au Québec.
Mais la réaction délirante des anglos radicaux envoie un mauvais signal : elle laisse croire que nous sommes devant un projet musclé, alors qu’il est chétif.
La vraie réforme de la loi 101 est encore à faire.