Vous avez dit « imputabilité » ?
Très attendu, le rapport final de la
coroner Géhane Kamel sur l’hécatombe de la première vague de la pandémie dans des CHSLD est maintenant public. La coroner fera ses commentaires ce jeudi.
Il est à la fois méticuleux et profondément humain. Son premier mérite est de placer enfin les victimes elles-mêmes et leurs familles au coeur du récit d’un des épisodes les plus honteux du Québec moderne.
Plus de 5000 femmes et hommes d’ici. Morts dans des conditions abominablement déshumanisantes.
D’où le plaidoyer plus large de la coroner. Elle recommande en fait aux gouvernements, celui-ci et les prochains, de prendre aussi la pleine mesure de leur impréparation ahurissante au tsunami à venir pour l’hébergement et le soutien à domicile dans une société de plus en plus vieillissante.
Bref, « sortir du déni » est son message central. Sera-t-elle entendue ? Partiellement, sûrement. Mais dans cette société où les plus vulnérables, âgés ou handicapés, sont gravement négligés depuis des années, jusqu’où le sera-t-elle vraiment ?
Chez les décideurs, Géhane Kamel a raison d’épargner la ministre des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais. Elle dit avoir trouvé son témoignage le plus crédible d’entre tous. J’en faisais le même constat ici en janvier dernier.
Elle pointe l’ex-directeur national de la Santé publique, Horacio Arruda. L’indépendance politique de son poste est en effet inexistante. En pandémie, en amont comme en aval, cela crée un satané problème de transparence et de crédibilité.
INACTION ET DÉRESPONSABILISATION
Elle note l’absence imposée des proches aidants comme hautement risquée pour les résidents de CHSLD. Également celle, volontaire, des médecins réfugiés dans un télétravail qui, en pleine pandémie, constituait un abandon de personnes ultra vulnérables en péril.
La coroner pointe les PDG des CIUSSS. Dans le cas du CHSLD privé Herron, Lynne McVey, grande patronne du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. Géhane Kamel ne mâche pas ses mots.
Elle constate que l’inaction et la déresponsabilisation régnaient dans la haute tour du CIUSSS. Le fait est qu’au sommet de la plupart de ces monstres technocratiques ultra centralisés que sont les CIUSSS, on retrouve le même problème de fond. Avec le résultat que l’on connaît.
Ajoutant l’insulte à l’injure, les PDG des CIUSSS, véritable aristocratie du réseau, sont parmi les mieux rémunérés de tout l’appareil étatique. En plus d’une brochette d’avantages financiers supplémentaires, leur salaire annuel de base dépasse les 300 000 $. Descendre de leur Olympe
C’est au moins 100 000 $ de plus que le premier ministre. Pour être déconnectés du « terrain » à ce point – et sans la moindre imputabilité réelle –, c’est beaucoup trop cher payé.
Comme le rapportait Radio-Canada en avril, depuis quelques mois, discrètement, près de la moitié des PDG des CIUSSS ont d’ailleurs quitté, le feront ou auraient senti qu’ils feraient mieux de ne pas trop s’accrocher à leur poste.
Lynne McVey aura néanmoins poussé le déshonneur jusqu’à attendre le rapport final de Géhane Kamel pour annoncer son départ alors qu’elle aurait dû être congédiée depuis longtemps.
Pour la suite des choses, les PDG des CIUSSS devront descendre de leur Olympe. Cela veut dire être tenus imputables, concrètement, pour leur gestion et voir leurs organigrammes orwelliens grandement décentralisés.
Et ce, pour tous les services d’hébergement et autres donnés aux personnes vulnérables, aînées ou handicapées, tous âges confondus.
C’est une urgence nationale. Pour les rares sceptiques restants, le printemps meurtrier de 2020 nous en a servi la
preuve la plus irréfutable qui soit.