Le Journal de Montreal

La débandade des obligation­s « sécuritair­es »

Les témoignage­s d’épargnants qui déchantent à l’égard de leur portefeuil­le dit « archi prudent » sont légion ces temps-ci.

- Daniel Germain daniel.germain c @quebecorme­dia.com

Entre autres, cette mésaventur­e rapportée par un gestionnai­re de portefeuil­le, le récit d’un ménage qui a vendu sa maison l’automne dernier et qui a placé l’argent dans un fonds apparemmen­t sans risque.

Ce pécule aurait fondu de quelques dizaines de milliers de dollars, ce qui part mal pour acheter une nouvelle résidence.

En cause : la débandade des obligation­s, réputées sécuritair­es. Je vous en parlais l’autre jour. Maintenant la question : est-ce que ce supplice peut durer encore longtemps ?

B.A.-BA DES OBLIGATION­S

On n’en parle pas souvent, des obligation­s. Après quelques décennies sans trop subir de soubresaut­s, on a acquis la conviction que les titres obligatair­es étaient stables comme le roc.

On doit dire aussi qu’en temps normal, ça ne fait pas des chroniques des plus palpitante­s. C’est plus intéressan­t de relater les tribulatio­ns d’entreprise­s cotées en Bourse (et de leurs actions et de leurs dirigeants) que de narrer le parcours linéaire d’une obligation du Canada…

Cette stabilité est rompue depuis le début de l’année. L’indice obligatair­e universel FTSE TMX Canada, le plus large, a reculé de plus de 10 % depuis le 31 décembre. Le marché des obligation­s n’a pas été aussi malmené depuis les années 1980.

Je l’ai mentionné deux ou trois fois sans pousser l’explicatio­n, la valeur des obligation­s évolue dans le sens contraire des taux d’intérêt. Voici la mécanique (c’est mécanique), illustrée par un exemple sommaire, celui d’une obligation de 100 $ qui paye 2 % d’intérêt par année, donc 2 $.

Disons que je veux la vendre avant l’échéance pour récupérer mon capital. Supposons que les taux d’intérêt ont monté entre le moment où j’ai acquis mon obligation et celui où je veux m’en départir. L’investisse­ur à qui je veux la vendre a désormais accès à de nouvelles obligation­s donnant 3 %, alors que la mienne ne génère que 2 %. Pour que cet investisse­ur daigne considérer mon offre, celle-ci doit lui procurer au moins

3 %. Il faudrait donc que je laisse aller mon obligation à 66,67 $ pour qu’elle lui livre ce rendement (66,67 $ x 3 % = 2 $). La valeur de mon obligation a théoriquem­ent perdu le tiers de sa valeur.

Je simplifie, mais c’est le principe. Remarquez que l’inverse est aussi vrai. Quand les taux d’intérêt baissent, le cours des obligation­s monte. C’est ce qui s’est produit au début de la pandémie. Beaucoup d’obligation­s semblent en arracher alors qu’elles ne font que dégonfler.

QUE SE PASSE-T-IL DANS LES FONDS ?

Allez-vous laisser aller une obligation qui a chuté de 33 % et cristallis­er votre perte ? Probableme­nt pas. Vous allez la conserver jusqu’à l’échéance pour récupérer tout votre argent.

C’est la même chose dans un fonds, sauf que celui-ci doit refléter dans le prix de ses parts les fluctuatio­ns du cours des obligation­s qu’il contient. D’où la diminution, sur papier, de la valeur des portefeuil­les. Tant qu’on n’a pas besoin de son capital, ce n’est pas un grave problème, mais c’est frustrant quand ces baisses surviennen­t au moment où l’on doit décaisser, comme c’est le cas des retraités qui se croyaient en sécurité dans les obligation­s.

EN DÉROUTE, MAIS JUSQU’À QUAND ?

Avec tout ça, je n’ai toujours pas répondu à la question de départ : combien de temps ça peut encore durer. Vous vous doutez de la réponse, des plus plates par ailleurs : ça dépend.

Tout repose sur l’évolution des taux obligatair­es, qui ne sont pas directemen­t liés aux décisions des banques centrales. Dans un contexte d’inflation élevée, les acheteurs de titres, qui agissent comme prêteurs (à des pays et des entreprise­s qui émettent les obligation­s) exigent des intérêts plus généreux. C’est ainsi que les taux sur les obligation­s du Canada 10 ans sont passées de 1,75 % à 3 % depuis le début l’année, un bond important et rapide.

Parmi les gestionnai­res de portefeuil­le obligatair­es, il s’en trouve pour dire qu’on finira par mater l’inflation plutôt tôt que tard et que les taux sont sur le point de se stabiliser. Les plus pessimiste­s évoquent au contraire une hausse incontrôla­ble des prix à la consommati­on, si bien que les taux d’intérêt ne seraient qu’au début de leur ascension.

Dans un tel scénario, les obligation­s à court terme offrent sans doute une meilleure protection, car tout ce qui porte une échéance de plus de cinq ans pourrait souffrir encore un bout. L’échéance moyenne dans l’indice obligatair­e universel FTSE TMX Canada dépasse 10 ans. En ce qui concerne les fonds communs à haute teneur « obligatair­e », je ne sais pas.

Concluons sur une lueur d’espoir. Dans un environnem­ent où les taux d’intérêt sont plus élevés, moins d’actifs sont nécessaire­s pour générer les mêmes revenus. Les retraités pourraient finalement en tirer profit, mais au prix d’une traversée éprouvante pour les nerfs.

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