Le Journal de Montreal

La loi 21 fait des petits…

- EMMANUELLE LATRAVERSE emmanuelle.latraverse@tva.ca

Qui eût cru que la loi 21 deviendrai­t une source d’inspiratio­n en plein coeur du multicultu­ralisme canadien ?

Qui eût cru que le Québec, si critiqué pour avoir bafoué le droit de ses minorités en imposant la laïcité, servirait d’exemple à Toronto !

Loin de s’en réjouir, le gouverneme­nt Legault devrait s’en inquiéter.

Il se retrouve indirectem­ent au coeur d’un bras de fer épique entre l’Ontario, un de ses gros syndicats et le gouverneme­nt fédéral. Et Ottawa est ainsi plus convaincu que jamais du bien-fondé de la bataille qu’il prépare contre la loi 21 devant la Cour suprême.

BATAILLE SYNDICALE

Le litige est classique. Le syndicat, qui représente 55 000 travailleu­rs de soutien dans les écoles d’Ontario, maintient la ligne dure dans ses négos avec la province.

C’est lorsqu’une première journée de grève prévue vendredi a été annoncée que Doug Ford a décidé de s’inspirer de son bon ami François Legault.

Non seulement son gouverneme­nt tente-t-il de légiférer sur un nouveau contrat de travail AVANT vendredi, il y a inséré la fameuse clause nonobstant.

Après tout, si le Québec peut utiliser la clause dérogatoir­e pour protéger sa loi 21 contre les recours devant les tribunaux, pourquoi ne pas faire la même chose pour casser un syndicat ?

On s’entend, la comparaiso­n est boiteuse, les enjeux ne sont pas les mêmes.

Dans un cas, on invoque la clause exceptionn­elle pour consacrer le droit du Québec de définir les termes de ses valeurs fondamenta­les comme société. Dans l’autre, on l’invoque pour régler un problème ponctuel de relations de travail. Dans un cas, on parle de droits individuel­s, dans l’autre, des droits collectifs d’employés syndiqués.

Et pourtant, le mal est fait. Doug Ford vient de donner un argument en or aux pourfendeu­rs de la loi 21.

LEVÉE DE BOUCLIERS

Justin Trudeau était trop heureux de s’arrêter devant les caméras lors de la réunion de son Conseil des ministres, indigné qu’un gouverneme­nt s’attaque à des droits fondamenta­ux « à la légère ». « L’idée de supprimer ou de suspendre ces droits fondamenta­ux, ça devient de plus en plus courant dans différents gouverneme­nts, puis ça me préoccupe beaucoup. »

Car sans le savoir, le premier ministre de l’Ontario vient de donner raison au gouverneme­nt fédéral dans son affronteme­nt contre le gouverneme­nt Legault.

Voulant éviter de trop payer le prix politique de son opposition aux lois 21 et 96, le gouverneme­nt Trudeau se réfugie derrière un argumentai­re juridique pour justifier son interventi­on. C’est l’usage de la clause dérogatoir­e de manière préventive qui pose problème.

Selon le ministre de la Justice, David Lametti, en érigeant un bouclier autour de la loi, Québec porte atteinte au contrôle judiciaire, le droit essentiell­ement des tribunaux de porter un regard sur des enjeux constituti­onnels.

Jusqu’ici, Ottawa semblait prêcher dans le désert en plaidant qu’il s’agissait là d’un précédent dangereux.

Doug Ford dans sa croisade antisyndic­ale vient de leur donner raison. Sauf que le premier à en faire les frais sera le Québec.

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