Show de boucane libéral sur la langue
C’était le 1er décembre 2018. Vêtue d’une écharpe blanche et verte aux couleurs des FrancoOntariens, Mélanie Joly promet de tenir tête au gouvernement conservateur de Doug Ford, qui vient d’annoncer des coupes sans précédent aux services en français dans la province.
« Vous êtes beaux, vous êtes forts, vous êtes fiers », scande-t-elle devant une foule compacte de milliers de personnes réunies à Ottawa pour crier leur colère contre le gouvernement de Doug Ford.
« Aujourd’hui à travers le pays, on est tous Franco-Ontariens ! »
Le moment est historique. Les francophones de l’Ontario sortent dans la rue par dizaines de milliers.
Doug Ford a fini par reculer, en bonne partie, mais pas complètement.
RENAISSANCE
Mélanie Joly a mis de l’argent sur la table pour sauver le projet d’université franco-ontarienne. Ça lui faisait une belle jambe, à elle et son gouvernement, en plus d’embarrasser les conservateurs à Ottawa.
C’est le début d’une renaissance pour Mélanie Joly, qui vient de passer des années difficiles à Patrimoine canadien, embourbée dans le fiasco de la taxe Netflix.
Rétrogradée au Tourisme à l’été 2018, l’ambitieuse ministre profite de la tempête linguistique en Ontario pour se remettre en selle.
Elle s’est trouvé un nouveau cheval de bataille, celui du français.
Mais les élections fédérales de l’automne 2019 ne se passent pas comme prévu pour les libéraux, devenus minoritaires à la faveur d’une autre renaissance, celle du Bloc Québécois.
Personne ne l’a vu venir, et certains libéraux du Québec s’en veulent.
C’est ainsi que débute le virage nationaliste du PLC, porté par Mélanie Joly.
Le parti renie son héritage trudeauiste père en reconnaissant que le français doit être la seule langue officielle du Québec.
Tout le monde est un peu médusé, le Bloc crie à l’opportunisme.
On promet une réforme de la Loi sur les langues officielles en reconnaissant aussi que le français a besoin d’amour, plus que l’anglais.
Finie cette idée que les deux communautés minoritaires, la franco dans le reste du pays et l’anglo au Québec, doivent être mises sur un pied d’égalité. Le fédéral a aussi son rôle à jouer pour promouvoir le français au Québec.
Certains députés montréalais grincent des dents, mais rentrent dans le rang.
Le contexte politique lui est favorable, et Mélanie Joly a l’oreille du premier ministre.
Mais aujourd’hui, le virage nationaliste des libéraux prend l’eau.
RÉBELLION
Marc Garneau, Emmanuella Lambropoulos, Patricia Lattanzio et Anthony Housefather représentent des circonscriptions à forte concentration anglophone.
Les quatre députés rebelles montréalais se sentent investis d’une mission, soit celle de ralentir la réforme des langues officielles de leur propre gouvernement. Car elle va à leur avis trop loin, en reconnaissant entre autres la légitimité de la loi 96, la réforme de la langue française de la CAQ.
Des députés qui tentent de saboter un projet de loi mis de l’avant par leur propre formation politique, c’est exceptionnel.
On aurait pu penser que les récalcitrants auraient subi des conséquences. Or, il n’en est rien. Justin Trudeau a passé l’éponge comme si de rien n’était.
Doit-on en comprendre que le premier ministre calcule que c’était politiquement payant d’envoyer ce signal à la communauté anglophone de Montréal ?
LEÇON FRANCO-ONTARIENNE
On se doute depuis longtemps que la nouvelle ministre des langues officielles, Ginette Petitpas-Taylor, n’a pas la même autorité sur ses collègues que Mélanie Joly.
La preuve en est faite.
Elle n’a pas levé le petit doigt pour remettre à leur place les quatre Montréalais.
C’est un député franco-ontarien, Francis Drouin, qui a signé la fin de la récréation, en dénonçant le « show de boucane » de ses collègues du « Montreal Island ».
Est-ce un hasard si la leçon de fierté linguistique chez les libéraux, comme en 2018, arrive de l’Ontario français ?
VERNIS NATIONALISTE
Le vernis nationaliste des libéraux craque de partout.
Ajoutons à cet épisode récent celui de la nomination d’Amira Elghawaby.
Le PLC n’est pas le PLQ. Ses appuis ne sont pas cantonnés qu’à Montréal, chez les anglophones et les allophones.
Justin Trudeau domine le Québec dans les intentions de vote depuis des mois, sinon des années.
Le Québec, c’est son château fort, à l’échelle du pays.
Or, la fragile posture nationaliste des libéraux québécois vacille.
À moins que cela ne fût, au bout du compte, qu’un show de boucane.