Tapez pour donner un pourboire
Des musiciens du métro s’adaptent à la raréfaction de l’argent liquide en acceptant le paiement électronique
À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
Alors que la STM n’est pas encore capable de permettre à ses usagers d’acquitter instantanément leur entrée en appuyant leur carte de crédit sur le capteur du tourniquet, certains musiciens dans les corridors du métro se montrent plus débrouillards avec la technologie.
Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai entendu des musiciens du métro offrir aux spectateurs des moyens de verser facilement des sous par Visa, Mastercard, Interac, PayPal ou Gofundme.
« Pour que les gens utilisent le paiement électronique, il faut vraiment que ce ne soit pas compliqué et que ça se fasse dans une étape aussi simple que de jeter un billet ou un sou dans un chapeau », m’explique le musicien Curtis Thorpe.
Je suis allé voir M. Thorpe performer à la station Place-des-Arts jeudi midi pour observer la réaction du public devant son terminal de paiement électronique Square fixé au bout d’un trépied.
« Tapez pour donner 4 $ », lit-on [en anglais] sur l’affiche de l’artiste originaire de la Nouvelle-Écosse, qui joue de la doucemelle (hammered dulcimer), un instrument traditionnel méconnu de la famille des cordes qui intrigue les passants.
Le terminal Square ne passe pas inaperçu non plus.
« Beaucoup me demandent si c’est une vraie machine et ils ont du mal à le croire. D’autres s’étonnent, prennent une photo et m’envoient un pouce levé pour saluer mon initiative. »
Comme la machine est prévue pour une série de transactions uniques et pas pour des pourboires automatiques préprogrammés, M. Thorpe doit recourir à une application sur son téléphone qui réinitialise son terminal toutes les cinq minutes.
« C’est un touriste australien qui m’a dit que dans son pays, c’était en train de se normaliser, cette manière de payer les musiciens de rue. »
Il a acheté son terminal usagé au coût de 300 $ au milieu de l’été dernier et il estime l’avoir rentabilisé en trois semaines.
NÉCESSITÉ
« C’est nécessaire d’accepter l’électronique parce que les gens ont de moins en moins de l’argent liquide sur eux et, quand ils se sentent généreux et ont envie de donner, ils sont contents de pouvoir le faire avec leur téléphone », dit la chanteuse Jorie, dont le visage et la voix sont bien connus devant la basilique Notre-Dame et le Village gai. Jorie n’a pas de terminal Square. « J’aurais peur qu’on me le vole ! », s’exclame-t-elle.
Elle utilise plutôt un code QR qui mène vers le compte de sociofinancement GoFundMe appelé « Jorie-Création Album & Onewomanshow », lequel permet de donner pour l’aider à réaliser son album.
« Quand les gens aiment ma voix et ont envie de m’encourager, ça leur permet non seulement de me donner, mais de suivre mon projet. »
ENCORE DU COMPTANT
Quant au violoncelliste Philippe Mius d’Entremont, son code QR mène vers une page de sa compagnie Cello Ex Machina, où l’on peut lui verser des dons par l’entremise de PayPal.
« Ça arrive qu’on me paie ainsi, mais rarement, parce que tout le monde n’a pas un compte PayPal », dit M. d’Entremont.
L’énorme majorité des sous reçus restent en argent comptant.
« Ce serait bien si Square dotait son terminal d’une option pour les artistes de rue, comme nous qui ne pouvons pas arrêter de jouer quand les gens paient », dit M. Thorpe.