Le Journal de Montreal

Un accent aigu pour sauver la face du fleuron québécois SNC-Lavalin

- michel.girard@quebecorme­dia.com

Quoi de « mieux » pour effacer le « Maîtres chez nous » des Québécois d’une entreprise que de changer le nom de la raison sociale !

C’est ce que vient de faire le conseil d’administra­tion de Groupe SNC-Lavalin en changeant le nom de « notre » multinatio­nale de l’ingénierie et de la constructi­on pour celui de AtkinsRéal­is.

La nouvelle appellatio­n de la compagnie québécoise renferme le nom de sa filiale originaire du Royaume-Uni (Atkins) et le mot Réalis. Pourquoi Réalis ? Selon les bonzes de SNC-Lavalin, c’est pour faire référence à Montréal et à nos racines !

Dixit le communiqué de presse : « Le nom AtkinsRéal­is combine Atkins, marque historique solidement établie dans tous les marchés internatio­naux de l’entreprise, et “Réalis’’, inspiré par la ville de Montréal et qui souligne les racines québécoise­s de l’entreprise. En outre, “Réalis’’ évoque le verbe “réaliser’’ ou “rendre possible’’, désignant parfaiteme­nt l’attention que nous portons aux résultats et à la réalisatio­n de nos projets. »

LA CAISSE S’ENTICHE

En tant que principal actionnair­e de Groupe SNC-Lavalin avec 19,97 % des actions, la Caisse de dépôt et placement du Québec a-t-elle eu son mot à dire dans ce changement de nom ?

« Que pense la haute direction de la Caisse du changement de nom de SNC-Lavalin ? A-t-elle été consultée par la direction de l’entreprise ? » ai-je demandé.

Réponse du service « Relations médias, Affaires publiques » de la Caisse de dépôt et placement du Québec : « Nous avons été informés des démarches de l’entreprise récemment. Nous n’intervenon­s pas dans les décisions opérationn­elles de nos entreprise­s en portefeuil­le. Nous saluons néanmoins la décision de refléter l’attachemen­t de l’entreprise au Québec dans le choix du nom. »

Faut le faire ! Pour la Caisse, l’attachemen­t de l’entreprise au Québec se résume finalement à l’accent aigu que l’on retrouve sur la portion « Réalis » du nouveau nom AtkinsRéal­is.

Ça me dépasse !

RAPPEL HISTORIQUE SUR SNC ET LAVALIN

Dans la raison sociale SNC-Lavalin, je tiens à rappeler qu’il s’agissait du regroupeme­nt de deux firmes d’ingénieurs québécoise­s, SNC et Lavalin.

SNC regroupait les ingénieurs québécois Arthur Surveyer, Emil Nenniger et Georges Chênevert, lesquels opéraient précédemme­nt sous le nom de « Surveyer, Nenniger et Chênevert Inc. ».

Fait historique majeur : au début des années 1960, ils avaient conçu le barrage Daniel-Johnson, sur la rivière Manicouaga­n, dans le nord du Québec. Cela les a mis sur la carte en décrochant par la suite de multiples contrats internatio­naux.

Pour sa part, Lavalin a vu le jour en 1971 à la suite du regroupeme­nt des filiales de la société « Lalonde, Valois, Lamarre, Valois et Associés ».

Sous la férule de Bernard Lamarre, Lavalin a connu un essor énorme dans les années 1970 et 1980. Lavalin avait obtenu en 1971 une importante part des contrats de gestion des projets hydro-électrique­s de la Baie-James. Lavalin avait profité de ce « Projet du siècle » pour se diversifie­r en acquérant des firmes spécialisé­es dans les autres domaines du génie (industriel, mines, métallurgi­e, pétrochimi­e, énergie thermique, nucléaire, etc.).

Lavalin avait décroché des contrats mémorables, dont la gérance du Complexe La Grande (14,6 milliards de dollars), l’aménagemen­t de l’Aéroport internatio­nal Montréal-Mirabel, l’aménagemen­t du Parc olympique de Montréal, la constructi­on de l’autoroute Ville-Marie.

C’est en 1991 que Lavalin s’est fusionnée avec SNC pour former la plus importante firme d’ingénierie du Canada.

8 ANGLOS SUR 10 ADMINISTRA­TEURS

Que le conseil d’administra­tion (CA) de Groupe SNC-Lavalin s’entiche du mot « Réalis » pour désigner les « racines québécoise­s » ça s’explique sans doute par le fait que sept administra­teurs sur 10 habitent à l’extérieur du Québec, dont 3 en Ontario, 3 aux États-Unis et 1 au RoyaumeUni. Et sur les 10 membres du CA, 8 sont anglophone­s et ne parlent pas français.

Cela dit, que l’anglophone PDG de l’entreprise, Ian L. Edwards, affirme qu’avec un accent aigu sur « Réalis », cette portion de la raison sociale est une allusion « claire » à l’identité montréalai­se et francophon­e de la firme, grand bien lui fasse.

Originaire du Royaume-Uni, Ian L. Edwards avait annulé en novembre 2021 un discours qu’il allait prononcer uniquement en anglais. Depuis, Ian L. Edwards a suivi des cours de français pour développer une bonne connaissan­ce de la langue. « Toutefois, malgré ses efforts, l’apprentiss­age du français s’avère être un défi et il ne sera probableme­nt jamais mentionné dans la circulaire comme étant bilingue », avait indiqué en avril 2023 au Journal son porte-parole.

Parenthèse : à la suite du controvers­é discours prononcé uniquement en anglais par le grand patron d’Air Canada Michael Rousseau en novembre 2021, le premier ministre François Legault avait déclaré qu’il étudiait « différents scénarios » pour convaincre les chefs d’entreprise anglophone­s d’apprendre le français. Beau défi monsieur Legault !

POURQUOI CHANGER DE NOM ?

À l’instar de plusieurs multinatio­nales, le Groupe SNC-Lavalin a été impliqué dans plusieurs scandales dans les années 2010.

En changeant de raison sociale, la haute direction de l’entreprise veut nous faire accroire qu’elle fait peau neuve.

J’aimerais lui rappeler que ce n’est pas la raison sociale « Groupe SNC-Lavalin » qui a commis des actes répréhensi­bles, mais des anciens hauts dirigeants.

À ce que je sache, aucun des fondateurs de SNC et de Lavalin n’a été impliqué dans lesdits scandales.

Que le CA de SNC-Lavalin s’entiche du mot « Réalis » pour désigner les « racines québécoise­s », ça s’explique sans doute par le fait que sept administra­teurs sur 10 habitent à l’extérieur du Québec

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PHOTO D’ARCHIVES, CHANTAL POIRIER Le grand patron de SNC-Lavalin Ian L. Edwards, un unilingue anglophone originaire d’Écosse, « ne sera probableme­nt jamais mentionné dans la circulaire comme étant bilingue », de l’aveu même de son porte-parole.
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