Comment immigrer sans parler français
Des entreprises privées sont fières d’aider des immigrants à s’installer au Québec sans parler la langue officielle
Des entreprises privées du grand Montréal se targuent en ligne d’aider des immigrants ne parlant pas un mot de français à s’installer au Québec, une pratique « inacceptable » selon le gouvernement.
« Notre position est claire : la langue française est le socle de notre culture commune et cela doit demeurer. Les faits relatés sont préoccupants et inacceptables. Ce genre de comportement de la part de ces agences privées est déplorable », dénonce Jean-François Roberge, ministre de la Langue française.
Il réagissait ainsi à plusieurs vidéos publiées sur TikTok qui lui ont été signalées par Le Journal.
Ces séquences ont toutes été créées par au moins trois consultants en immigration, installés dans la métropole québécoise, qui font la promotion de leurs services controversés sur le web. Ils prétendent que leur objectif est d’aider des étrangers à s’établir dans la province. « Certificat de sélection du Québec [CSQ] approuvé en 2 mois ! Félicitations, sans français. Pour en savoir plus… visitez-nous », affirme en souriant dans une des vidéos Rohit Sikka, propriétaire de la compagnie Education Station, en serrant la main de son client.
Notons que ce certificat prouve qu’un immigrant est autorisé à s’installer dans la province. Ce document est nécessaire pour ensuite déposer une demande de résidence permanente.
Dans une autre séquence en ligne, le même consultant accueille avec des confettis et de la musique une immigrante ayant obtenu un CSQ. Encore une fois, M. Sikka vante la jeune femme qui a réussi à déménager à Montréal même si elle ne maîtrise pas la langue de Molière.
LE TALENT D’ABORD
« Notre but est d’aider des gens de talents à venir vivre au Québec, c’est tout. […] Nos vidéos ont été tournées à la fin de l’année 2023, on sait que les lois vont changer à l’avenir », se défend au téléphone Rohit Sikka, qui avoue ne pas parler français, même s’il a déménagé à Montréal en 2018.
Selon nos recherches, deux autres compagnies font ce genre de promotion sur TikTok : GP Singh Immigration inc. et CanWorldVisa Immigration. Nos demandes d’entrevue avec leur propriétaire sont restées sans réponse. Chaque fois, elles ont été reçues par des réceptionnistes parlant uniquement anglais.
« No speak french, speak english please », lance une employée de Jaswinder Kaur Bajwa, propriétaire de CanWorldVisa Immigration.
BIENTÔT INTERDIT
Jean-François Roberge assure que son gouvernement est celui qui « en fait le plus pour la langue française ».
« Notamment avec la hausse des exigences quant au niveau de français chez les immigrants temporaires et permanents. Avec les réformes que nous avons faites et qui seront en vigueur dès l’automne 2024, il ne sera plus possible d’obtenir un CSQ sans connaissance du français », certifie le ministre de la Langue française
Maxime Lapointe, avocat spécialisé en droit de l’immigration, met en garde les immigrants contre les conseils prodigués dans ces vidéos.
« C’est trompeur comme message parce que chaque immigrant est un cas d’espèce. Au Québec, on a ajusté la loi pour protéger le français. Il faut vraiment faire attention avec ce que disent ces consultants », prévient Me Lapointe.
L’avocat rappelle aussi que la réforme de la CAQ est déjà mise en branle. En effet, depuis janvier 2024, les gens d’affaires et les travailleurs qualifiés qui souhaitent s’installer au Québec de manière permanente doivent obligatoirement avoir des connaissances du français. Cette nouvelle règle s’applique notamment aux investisseurs, entrepreneurs et travailleurs autonomes.
Selon un rapport du commissaire à la langue française publié la semaine dernière, l’immigration temporaire a fait reculer le français au Québec. L’utilisation du français au travail a connu notamment un recul de 1 % en deux ans.