Des situations « inacceptables », réagit le ministre Dubé
Un bambin de 18 mois est mort après avoir attendu les paramédics durant une heure en Abitibi
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, juge inacceptables les longs délais d’intervention des paramédics au Québec et annonce qu’il déposera « dans les prochains jours » un plan d’action pour améliorer l’accès aux services ambulanciers.
« Les situations rapportées par Le Journal sont inacceptables, nous ne pouvons faire aucun compromis sur la sécurité des patients », a déclaré hier sur X le ministre de la Santé, en réaction aux reportages de notre Bureau d’enquête.
« La couverture ambulancière doit être adaptée à la réalité de chaque territoire. Chaque établissement doit évaluer ses besoins et nous en faire part afin que nous puissions apporter les ajustements nécessaires », a-t-il poursuivi.
En entrevue plus tôt avec notre Bureau d’enquête, Martin Forgues, directeur général adjoint, Service préhospitalier et des effectifs médicaux au ministère de la Santé, tenait le même discours. Il assurait vouloir corriger la situation, sans toutefois être en mesure d’indiquer quand il y parviendra.
PAS « SURPRIS »
M. Forgues affirmait ne pas être « surpris » par le fait que les ambulanciers sont généralement incapables de se rendre à temps auprès d’un patient en détresse dans près de 85 % des municipalités du Québec.
Il ignorait cependant que dans plus d’une vingtaine de villes de plus de 10 000 habitants, les paramédics n’étaient pas en mesure d’arriver en moins de 15 minutes auprès d’un citoyen dont la vie était menacée.
« Je suis étonné de la moyenne que vous me donnez dans ces villes. Si on trouvait ce bilan-là acceptable, on ne travaillerait pas actuellement sur les mesures qu’on met en place », a-t-il insisté.
Car des mesures, M. Forgues assure en avoir mis plusieurs en place afin de régler ce problème (voir ci-contre).
Pour y parvenir, plusieurs municipalités plaident pour l’ajout d’effectifs. Uniquement dans la Capitale-Nationale, le syndicat des ambulanciers réclame jusqu’à 15 véhicules supplémentaires.
Mais l’amélioration des services ne pourra pas reposer uniquement sur les ambulances. « Il faut élargir nos actions », plaide M. Forgues, évoquant notamment l’ajout de premiers répondants.
DRAME PERSONNEL
Le ministère a refusé de réagir aux cas de citoyens dont les proches sont morts en attendant l’ambulance, comme le rapporte depuis hier notre Bureau d’enquête.
Émotif, M. Forgues s’est toutefois dit « très conscient » de l’impact que peuvent avoir ces délais, lui qui a personnellement vécu l’attente lorsque sa femme a été foudroyée par un anévrisme, l’an dernier, en Italie. Elle en est décédée.
L’ambulance ne s’est jamais rendue au chevet d’un bambin de 18 mois en détresse, qui a dû être transporté d’urgence par les pompiers vers l’hôpital, où son décès a été constaté.
« Je trouve ça dégueulasse que l’ambulance ne se soit jamais rendue chez nous. C’est déplorable », rage Jenny Doire, la mère du petit Malek Villeneuve, décédé à Normétal.
Dans ce village de quelque 800 âmes, en Abitibi-Témiscamingue, l’ambulance met en moyenne 28 min 33 s pour intervenir en cas d’appels urgents, selon les données ministérielles. Mais dans le cas du petit Malek, elle ne s’est carrément pas présentée après une heure d’attente.
INANIMÉ
Le matin du 7 janvier 2022, Mme Doire découvre son fils de 18 mois, immobile dans sa couchette.
« Quand j’ai ouvert la porte, j’ai vu que la couleur de sa peau avait changé. Il était bleu, noir. J’ai capoté », se rappelle la mère de famille.
Elle compose alors le 911 et tente des manoeuvres de réanimation. « On m’a dit dès le début qu’ils envoyaient l’ambulance », assure-t-elle.
Les premiers répondants se pointent rapidement et poursuivent les manoeuvres. Passent alors d’interminables minutes d’attente, alors que le bambin est en arrêt cardiorespiratoire. Les chances de le sauver s’amenuisent.
« On fait notre possible, mais on a nos limites », avance Doris Nolet, chef pompière et première répondante de Normétal, qui est intervenue auprès de Malek.
Parce que les ambulanciers n’arrivaient pas, et avec l’accord des policiers, les premiers répondants prennent alors une décision contraire à la norme : transporter Malek jusqu’à l’hôpital.
En chemin, ils rencontreront l’ambulance, ce qui permettra aux paramédics de prendre le relai. Mais c’est beaucoup trop tard. Le décès du petit Malek est constaté à l’hôpital.
À PLUS DE 100 KM DU DRAME
Le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue confirme qu’aucune des deux ambulances de La Sarre n’était disponible au moment de l’appel. L’une était en rupture de service tandis que l’autre était mobilisée par un appel urgent.
Résultat : c’est une ambulance de Rouyn-Noranda, à quelque 115 km de là, qui a été dépêchée.
Malek a été victime d’un « contexte de malchance », affirme le Dr François Aumond, du CISSS, qui juge tout de même que les délais sur son territoire sont « raisonnables, pour la plupart ».
Pour Félix-Antoine Lafleur, président du syndicat des ambulanciers de l’Abitibi-Témiscamingue, cette histoire est « inacceptable ».
« On n’a pas la région la plus densément peuplée. Mais est-ce que ça veut dire qu’un Abitibien, qui paie ses impôts comme tout le monde, a droit à un service inférieur ? », a-t-il indiqué.
FINI, L’AMBULANCE
Sa confiance dans le service actuel étant ébranlée, Mme Doire ne prend désormais plus de risque : lorsque son autre enfant a fait une grave réaction allergique un an plus tard, elle a décidé de le conduire elle-même à l’hôpital.
« On a pris le char, on est monté. On n’appelle plus l’ambulance », conclut-elle.