Le Journal de Montreal

Pour échapper aux griffes de l’impôt, elle devra moins travailler

À 71 ans, elle devra retirer des REER, ce qui fera augmenter ses revenus imposables

- GABRIEL CÔTÉ

Une caissière de 70 ans travaillan­t à temps plein dans un dépanneur devra bientôt diminuer ses heures de travail pour échapper aux griffes de l’impôt quand viendra le temps de commencer à retirer ses REER.

« Il va falloir que je fasse moins d’heures, ça va me faire de la peine », confie Carole Cadorette avant de prendre une gorgée de café noir, dans un restaurant à Québec.

« Ou peut-être que je vais me faire enlever plus d’impôts sur ma paye pour compenser », ajoute-t-elle en posant sa tasse, songeuse. « C’est de l’organisati­on, il faut penser à ça. »

Mme Cadorette est un oiseau rare. À 70 ans, elle travaille encore sept jours sur sept dans un dépanneur de Limoilou. « Ça me fait 35 heures, explique-t-elle. Je fais tous les matins, c’est mon social, puis après il me reste du temps pour mes activités. Je ne serais pas obligée de le faire, mais j’ai du plaisir et je suis en santé. »

Comme elle aura 71 ans dans les prochaines semaines, elle devra obligatoir­ement commencer à retirer ses REER en janvier prochain, ce qui fera augmenter ses revenus imposables. Si donc elle ne fait pas baisser ses revenus d’emploi, elle perdra aussi une partie de la pension de sécurité de la vieillesse.

« Ils disent qu’ils veulent nous garder sur le marché du travail et qu’il y a une pénurie de main-d’oeuvre. Pourquoi est-ce qu’ils ne nous laissent pas choisir nousmêmes quand on veut commencer à toucher à nos REER ? » dit-elle en gesticulan­t. « Ou au moins nous laisser un 10 000 $ non imposable ! »

« C’EST QUOI LE BORDEL ? »

Le titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, Luc Godbout, estime que Carole Cadorette a raison de s’indigner de la situation dans laquelle elle se trouve. « Elle voit tout ça et elle se dit : c’est quoi le bordel, là [...] ? Et elle n’a pas tort », dit-il en entrevue.

« L’obligation de cesser de contribuer au REER et de débuter les retraits à 71 ans, ça allait bien en 1957 quand ce régime a été créé », explique le fiscaliste. « Mais 67 ans plus tard, ce n’est plus la même chose d’avoir 71 ans : l’espérance de vie a grandement augmenté, on n’a plus, à cet âge-là, le même état de santé ni la même capacité à travailler qu’auparavant. »

UNE QUESTION DE VOLONTÉ

« C’est pour ça qu’on suggère depuis quelques années au gouverneme­nt fédéral de repousser à 75 ans l’âge limite pour cotiser à un REER », ajoute Luc Godbout, qui estime qu’il serait également possible d’assouplir les règles de la pension de sécurité de la vieillesse pour ceux qui continuent de travailler à l’âge de la sagesse.

« Ce ne sont pas de gros changement­s, et ça pourrait avoir des effets positifs sur l’incitation à la prolongati­on de carrière », constate-t-il.

Or, pour l’instant, rien ne laisse présager qu’Ottawa fera ces changement­s à court terme. En réponse aux questions du Journal, le cabinet de la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, a dit ne pas pouvoir « spéculer sur ce qu’[il] pourrait ou non être en train d’envisager – surtout en période prébudgéta­ire. »

« IL VA FALLOIR QUE JE FASSE MOINS D’HEURES, ÇA VA ME FAIRE DE LA PEINE. »

– Carole Cadorette

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PHOTO GABRIEL CÔTÉ Carole Cadorette, 70 ans, devra bientôt arrêter de travailler à temps plein dans un dépanneur de Québec pour éviter de perdre de l’argent aux mains de l’impôt.

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