Les Québécois ne sont pas des voleurs de territoire
Je déambulais l’autre jour sur un campus montréalais. Sur des babillards, les associations étudiantes rappelaient lourdement que nous serions sur un « territoire non cédé ». Des tas d’organisations font pareil.
Au moins, on a arrêté de prétendre qu’il s’agissait d’un territoire mohawk, alors que cette nation n’était pas présente ici quand a débuté la colonisation française.
CESSION
Sur le chemin du retour, j’essayais de mettre de l’ordre dans mes idées. Les Québécois seraient-ils des voleurs de territoire ?
Si on entend par territoire non cédé que les Autochtones n’ont jamais signé un traité par lequel ils cédaient ces terres aux non-Autochtones, c’est exact.
Mais l’affaire est à la fois plus complexe et plus simple.
Cruellement plus simple, car l’immense majorité des pays dans le monde se sont construits sur des terres où habitaient jadis d’autres peuples qui n’ont pas consenti à cela.
Plus complexe aussi, car cette idée de cession d’un territoire, donc d’un processus d’achat-vente, fut surtout caractéristique de la colonisation britannique.
C’est la Grande-Bretagne qui donnait un vernis légal à sa spoliation en faisant signer aux Autochtones des papiers qu’ils ne comprenaient guère, en les menaçant s’ils ne signaient pas, en offrant des compensations ridicules ou en reniant ses promesses.
Avant la conquête britannique, les Français avaient plutôt privilégié une logique d’alliance économique et militaire avec divers peuples autochtones.
Certes, les Français n’ont pas demandé la permission pour s’installer et ne seraient pas repartis si les Autochtones l’avaient exigé. Mais il n’y a pas eu de conquête violente ou de marché de dupes pour « acheter » un territoire.
Évidemment, cette alliance fut toujours fragile et partielle. Les Iroquois, alliés aux Hollandais protestants, s’y opposèrent et massacrèrent les Hurons christianisés alliés aux Français pour mieux contrôler le marché des fourrures.
Ce n’est pas blanchir ou innocenter la colonisation française que de rappeler un fait historique établi : elle fut qualitativement différente de la colonisation britannique, moins cynique et moins violente.
Après la création du Canada moderne (1867), le gouvernement fédéral prolongera cette politique britannique d’achat de territoire à coups de traités et de cessions.
Les réserves et la politique des pensionnats « pour leur bien » compléteront la dépossession.
SOURNOIS
Utiliser aujourd’hui l’expression « territoire non cédé », c’est donc regarder la situation à travers le prisme du colonialisme britannique et du néo-colonialisme canadien.
Pour certains, qui savent parfaitement ce qu’ils font, c’est une façon sournoise de miner les prétentions de l’État du Québec d’aujourd’hui d’affirmer son existence et ses assises territoriales.
Voilà pourquoi l’expression est reprise par des organisations ultra-fédéralistes ou par des militants autochtones qui préfèrent transiger directement avec Ottawa, en passant par-dessus un État du Québec qui ne leur sert que lorsqu’ils peuvent en retirer quelque chose.
Bien sûr, l’énoncé sans portée juridique du territoire non cédé est aussi repris par tous les idiots utiles, pétris de bons sentiments, qui ne creusent guère une question avant de se faire une opinion.