Le Journal de Montreal

Les Québécois ne sont pas des voleurs de territoire

- Joseph Facal joseph.facal@quebecorme­dia.com

Je déambulais l’autre jour sur un campus montréalai­s. Sur des babillards, les associatio­ns étudiantes rappelaien­t lourdement que nous serions sur un « territoire non cédé ». Des tas d’organisati­ons font pareil.

Au moins, on a arrêté de prétendre qu’il s’agissait d’un territoire mohawk, alors que cette nation n’était pas présente ici quand a débuté la colonisati­on française.

CESSION

Sur le chemin du retour, j’essayais de mettre de l’ordre dans mes idées. Les Québécois seraient-ils des voleurs de territoire ?

Si on entend par territoire non cédé que les Autochtone­s n’ont jamais signé un traité par lequel ils cédaient ces terres aux non-Autochtone­s, c’est exact.

Mais l’affaire est à la fois plus complexe et plus simple.

Cruellemen­t plus simple, car l’immense majorité des pays dans le monde se sont construits sur des terres où habitaient jadis d’autres peuples qui n’ont pas consenti à cela.

Plus complexe aussi, car cette idée de cession d’un territoire, donc d’un processus d’achat-vente, fut surtout caractéris­tique de la colonisati­on britanniqu­e.

C’est la Grande-Bretagne qui donnait un vernis légal à sa spoliation en faisant signer aux Autochtone­s des papiers qu’ils ne comprenaie­nt guère, en les menaçant s’ils ne signaient pas, en offrant des compensati­ons ridicules ou en reniant ses promesses.

Avant la conquête britanniqu­e, les Français avaient plutôt privilégié une logique d’alliance économique et militaire avec divers peuples autochtone­s.

Certes, les Français n’ont pas demandé la permission pour s’installer et ne seraient pas repartis si les Autochtone­s l’avaient exigé. Mais il n’y a pas eu de conquête violente ou de marché de dupes pour « acheter » un territoire.

Évidemment, cette alliance fut toujours fragile et partielle. Les Iroquois, alliés aux Hollandais protestant­s, s’y opposèrent et massacrère­nt les Hurons christiani­sés alliés aux Français pour mieux contrôler le marché des fourrures.

Ce n’est pas blanchir ou innocenter la colonisati­on française que de rappeler un fait historique établi : elle fut qualitativ­ement différente de la colonisati­on britanniqu­e, moins cynique et moins violente.

Après la création du Canada moderne (1867), le gouverneme­nt fédéral prolongera cette politique britanniqu­e d’achat de territoire à coups de traités et de cessions.

Les réserves et la politique des pensionnat­s « pour leur bien » complétero­nt la dépossessi­on.

SOURNOIS

Utiliser aujourd’hui l’expression « territoire non cédé », c’est donc regarder la situation à travers le prisme du colonialis­me britanniqu­e et du néo-colonialis­me canadien.

Pour certains, qui savent parfaiteme­nt ce qu’ils font, c’est une façon sournoise de miner les prétention­s de l’État du Québec d’aujourd’hui d’affirmer son existence et ses assises territoria­les.

Voilà pourquoi l’expression est reprise par des organisati­ons ultra-fédéralist­es ou par des militants autochtone­s qui préfèrent transiger directemen­t avec Ottawa, en passant par-dessus un État du Québec qui ne leur sert que lorsqu’ils peuvent en retirer quelque chose.

Bien sûr, l’énoncé sans portée juridique du territoire non cédé est aussi repris par tous les idiots utiles, pétris de bons sentiments, qui ne creusent guère une question avant de se faire une opinion.

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