Le Journal de Montreal

Honteux bilan de la SRC sur l’Ukraine

Quelles que soient les horreurs d’une guerre ou la grandeur d’un événement, il n’y a plus de trêve pour la publicité à Radio-Canada

- Guy.fournier@quebecorme­dia.com

Il y en avait, jadis, pour la mort du pape ou du roi, pour la fête de la Confédérat­ion, pour toute grande tragédie, mais cette époque est révolue. Aujourd’hui, le boeuf haché du Super C, les lingettes Vagisil, la Coors Light, les galettes lyophilisé­es pour chiot, Ozempic, le gel de blanchimen­t Ezgo et quoi encore ont la même importance que la bombe qui pulvérise un grand immeuble de Kharkiv, que les terroriste­s du Hamas qui égorgent des festivalie­rs ou que les réfugiés de Gaza qu’on ampute à froid dans des hôpitaux en ruines.

La semaine dernière, Radio-Canada a voulu faire oeuvre utile en commémoran­t par des émissions spéciales les deux ans de la guerre en Ukraine. Anne-Marie Dussault y a consacré une heure de son 24-60 et Céline Galipeau une édition spéciale du téléjourna­l. Dans un cas comme dans l’autre, on a diffusé des images insupporta­bles de ce conflit sanglant où les civils plus que les soldats sont les grands perdants.

UNE PETITE ESCAPADE DE PATRICE ROY

Tout au long de la semaine, Patrice Roy, chef d’antenne comme Mme Galipeau, avait présenté des entrevues in situ avec des personnali­tés ukrainienn­es, en particulie­r des artistes et des auteurs. Radio-Canada ayant encore en banque plus de sous qu’elle ne voudrait laisser croire, on a jugé que ce cher Patrice Roy avait bien, lui aussi, gagné un petit séjour « récréojour­nalistique » dans certaines villes d’Ukraine moins éprouvées par la guerre. Sans compter qu’en ces temps de commandite difficiles, il s’agirait d’un bon argument de vente auprès des annonceurs.

Comme les propres journalist­es de Radio-Canada ne se gênent pas pour le faire en secret, comme le fait régulièrem­ent Alain Saulnier, ancien directeur général de l’informatio­n du réseau français, j’ai souvent dénoncé la pratique de Radio-Canada de saucissonn­er son téléjourna­l pour y insérer des dizaines de messages publicitai­res.

Non seulement la pratique soulève un doute quant à l’intégrité et l’indépendan­ce de l’informatio­n, mais elle finit par éroder notre sens des valeurs. Il n’y a plus de différence entre la constructi­on de l’usine Northvolt, le retrait des troupes ukrainienn­es d’Avdiïvka, un cas de rage au volant, la démission de la mairesse de Gatineau, la mort d’une girafe du zoo de Calgary et la nouvelle Hyundai.

RADIO-CANADA FAIT LA SOURDE OREILLE

Il y a longtemps que l’on conspue la publicité dans les émissions de nouvelles de Radio-Canada, mais la direction a toujours fait la sourde oreille. Comme elle est sourde chaque fois que les diffuseurs privés l’accusent de concurrenc­e déloyale, soit parce qu’elle vend sa pub à vil prix, soit parce qu’elle présente des quiz ou autres émissions semblables qu’il est incongru de subvention­ner.

Comble d’insolence, Radio-Canada a même le culot d’entrecoupe­r de publicités les émissions de nouvelles de France Télévision­s qu’elle rediffuse, alors qu’elles sont interdites de publicité en France !

En janvier 2020, le groupe d’experts de Janet Yale nommé par Ottawa recommanda­it que CBC/SRC mette fin à la publicité dans les émissions d’informatio­n. Une recommanda­tion que le Parti libéral de Justin Trudeau a faite sienne dans son programme avant les élections générales de septembre 2021. Mais Ottawa n’a rien fait depuis.

Dans un contexte pareil, c’est une véritable provocatio­n et une honte que Radio-Canada ait présenté, entrecoupé de messages publicitai­res, ce bilan sur une guerre qui a fait jusqu’ici des centaines de milliers de morts et des millions de réfugiés.

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