Un des juges s’opposait à la clause dérogatoire
À l’époque où il était professeur à l’Université McGill, un des trois juges de la Cour d’appel chargés de se prononcer sur la Loi sur la laïcité de l’État comparait l’utilisation de la clause dérogatoire à « deux autres pouvoirs exorbitants » que le gouvernement fédéral n’oserait plus invoquer.
La clause dérogatoire est au coeur des débats sur l’interdiction des signes religieux pour les employés de l’État en position d’autorité.
Le procureur général défend son utilisation préventive afin de protéger la loi contre les poursuites devant les tribunaux, tandis que les opposants dénoncent le fait d’y avoir eu recours sous bâillon pour retirer des droits aux minorités.
La Cour d’appel doit trancher en déposant son jugement demain.
POUVOIRS EXTRAORDINAIRES
Dans un texte universitaire paru deux ans avant sa nomination à la Cour d’appel, en 2002, le juge Yves-Marie Morissette donne un aperçu de son opinion à l’époque. Il écrivait que cette disposition de dérogation était peu utilisée depuis les années du gouvernement Lévesque, en raison de ses « conséquences politiques onéreuses ».
« Peut-être à très long terme cette disposition tombera-t-elle en désuétude, comme on l’a déjà suggéré, écrivait-il en référence à un autre auteur. En tout cas, l’analogie est tentante avec deux autres pouvoirs exorbitants, le pouvoir de désaveu et le pouvoir déclaratoire. »
Il faut savoir que les pouvoirs « de désaveu » et « déclaratoire » sont deux mécanismes extraordinaires prévus au début de la Confédération afin de permettre au gouvernement fédéral d’intervenir dans les affaires des provinces.
Le premier lui accordait le droit d’annuler une loi provinciale au moment de son adoption. Le second donnait à Ottawa la possibilité d’étendre son champ de compétences, au détriment des provinces.
Ni l’un ni l’autre n’ont été utilisés depuis 1943 et 1961, faute de légitimité.
HOSTILITÉ
Pour le professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval Patrick Taillon, l’« hostilité » du juge Morissette face à la clause dérogatoire à l’époque ne fait aucun doute.
Il assure toutefois que de tels propos ne le disqualifient pas.
Pour Patrick Taillon, l’enjeu réside plutôt dans le fait que les juges de la Cour d’appel sont tous nommés par Ottawa, et donc plus enclins à favoriser l’argument des droits individuels.
« C’est comme si chaque fois que le Canadien de Montréal affronte les Bruins de Boston, les arbitres, depuis toujours, seraient choisis par le directeur général des Bruins », illustre-t-il.
La Cour d’appel a décliné notre demande de commentaires hier.