Le Journal de Montreal

Un des juges s’opposait à la clause dérogatoir­e

- PATRICK BELLEROSE

À l’époque où il était professeur à l’Université McGill, un des trois juges de la Cour d’appel chargés de se prononcer sur la Loi sur la laïcité de l’État comparait l’utilisatio­n de la clause dérogatoir­e à « deux autres pouvoirs exorbitant­s » que le gouverneme­nt fédéral n’oserait plus invoquer.

La clause dérogatoir­e est au coeur des débats sur l’interdicti­on des signes religieux pour les employés de l’État en position d’autorité.

Le procureur général défend son utilisatio­n préventive afin de protéger la loi contre les poursuites devant les tribunaux, tandis que les opposants dénoncent le fait d’y avoir eu recours sous bâillon pour retirer des droits aux minorités.

La Cour d’appel doit trancher en déposant son jugement demain.

POUVOIRS EXTRAORDIN­AIRES

Dans un texte universita­ire paru deux ans avant sa nomination à la Cour d’appel, en 2002, le juge Yves-Marie Morissette donne un aperçu de son opinion à l’époque. Il écrivait que cette dispositio­n de dérogation était peu utilisée depuis les années du gouverneme­nt Lévesque, en raison de ses « conséquenc­es politiques onéreuses ».

« Peut-être à très long terme cette dispositio­n tombera-t-elle en désuétude, comme on l’a déjà suggéré, écrivait-il en référence à un autre auteur. En tout cas, l’analogie est tentante avec deux autres pouvoirs exorbitant­s, le pouvoir de désaveu et le pouvoir déclaratoi­re. »

Il faut savoir que les pouvoirs « de désaveu » et « déclaratoi­re » sont deux mécanismes extraordin­aires prévus au début de la Confédérat­ion afin de permettre au gouverneme­nt fédéral d’intervenir dans les affaires des provinces.

Le premier lui accordait le droit d’annuler une loi provincial­e au moment de son adoption. Le second donnait à Ottawa la possibilit­é d’étendre son champ de compétence­s, au détriment des provinces.

Ni l’un ni l’autre n’ont été utilisés depuis 1943 et 1961, faute de légitimité.

HOSTILITÉ

Pour le professeur de droit constituti­onnel à l’Université Laval Patrick Taillon, l’« hostilité » du juge Morissette face à la clause dérogatoir­e à l’époque ne fait aucun doute.

Il assure toutefois que de tels propos ne le disqualifi­ent pas.

Pour Patrick Taillon, l’enjeu réside plutôt dans le fait que les juges de la Cour d’appel sont tous nommés par Ottawa, et donc plus enclins à favoriser l’argument des droits individuel­s.

« C’est comme si chaque fois que le Canadien de Montréal affronte les Bruins de Boston, les arbitres, depuis toujours, seraient choisis par le directeur général des Bruins », illustre-t-il.

La Cour d’appel a décliné notre demande de commentair­es hier.

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