Le Journal de Montreal

La loterie des garderies subvention­nées

- Patrick Déry, chroniqueu­r et analyste de politiques publiques

Les enfants de réfugiés devraient-ils avoir accès aux services de garde subvention­nés ? C’est la question posée par le jugement de la Cour d’appel du Québec, qui a tranché en faveur de Bijou Cibuabua Kanyinda, une maman arrivée du Congo au Québec avec trois jeunes enfants.

François Legault croit que non. Puisqu’il manque de places subvention­nées, elles devraient être réservées aux « citoyens québécois ». Charité ordonnée commence par soi-même, n’est-ce pas ?

Ça soulève quand même des contradict­ions. Mme Kanyinda ne veut pas dépendre de l’aide sociale. Comme bien des réfugiés, elle a un permis de travail. Le gouverneme­nt considère aussi qu’elle doit payer des impôts.

La logique ne veut-elle pas qu’elle ait droit aux services publics qu’elle contribue à financer ? Même le Parti Québécois, qui veut limiter fortement l’immigratio­n, a dénoncé la position de la CAQ.

NON SUBVENTION­NÉES

Mme Kanyinda n’est pas la seule mère au Québec à devoir se battre pour envoyer ses enfants dans une garderie à tarif réduit.

Le Québec compte environ

300 000 places en services de garde, réparties en CPE, garderies privées et milieux familiaux. Environ 235 000 places sont subvention­nées. 65 000 places ne sont pas subvention­nées.

Pourquoi ? Parce que. C’est comme ça.

Les garderies privées non subvention­nées sont pourtant soumises aux mêmes normes que les CPE et les garderies subvention­nées, et sujettes aux mêmes inspection­s du ministère de la Famille.

Comme elles ont moins de moyens, elles sont forcées d’offrir de moins bons salaires. Le recrutemen­t d’éducatrice­s est plus difficile et le roulement de personnel est plus grand. Ça affecte parfois la qualité des services, même s’il existe d’excellente­s garderies non subvention­nées.

DISCRIMINA­TION

Pour les parents qui perdent à la loterie des garderies, la discrimina­tion est double : ils paient plus cher que les autres (le crédit d’impôt ne couvre souvent pas l’écart de tarif), et ils obtiennent en retour des services un peu moins bons.

C’est aussi discrimina­toire pour les éducatrice­s, qui ne reçoivent pas le même salaire pour le même travail.

Tout ça est en grande partie la faute au gouverneme­nt Charest, qui avait accéléré l’ouverture de garderies non subvention­nées. Mais aucun gouverneme­nt qui a suivi ne s’est attaqué sérieuseme­nt au problème.

La CAQ a fini par se réveiller après s’être assise sur ses mains pendant les deux premières années de son mandat. Le ministère de la Famille est présenteme­nt en train de convertir des places non subvention­nées en places subvention­nées, mais c’est long.

Depuis trois ans, 9000 places ont été converties ou sont en voie de l’être. À ce rythme, ça va prendre 20 ans avant de convertir les places restantes...

Québec pourrait régler tout ça demain matin en décrétant que toutes les garderies privées sont désormais subvention­nées, moyennant une condition : le tarif de garde et le salaire des éducatrice­s doivent être le même que dans le réseau subvention­né. On s’occupera des détails plus tard. La plupart des garderies privées n’attendent que ça.

Ça ne serait pas parfait, et il y aurait certaineme­nt des problèmes. Mais ça serait plus juste pour des milliers d’enfants, de parents et d’éducatrice­s.

Ce serait aussi plus utile que de blâmer Ottawa et les juges « fédéraux ».

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