La colère gronde comme en Europe
Le revenu net des agriculteurs d’ici pourrait atteindre le même niveau qu’en 1938, selon les prévisions de l’UPA
Alors que le feu prend en Europe avec des coups d’éclat d’agriculteurs à bout de patience, des producteurs d’ici lèvent le poing à leur tour, et entre l’amertume et le sentiment d’être incompris naît une colère sourde sur le point d’éclater.
« Il y a des actions lourdes qui vont arriver. C’est le début de la colère », lance Adrien Papin, producteur céréalier, forcé de mettre la clé sur la porte de sa ferme de Saint-Irénée, dans la MRC de Charlevoix-Est.
« Le prix de l’essence a explosé. On a des taux d’intérêt qui font excessivement mal. Le climat s’en est mêlé et on a de la misère à être indemnisés », peste l’homme, qui a lancé un cri du coeur au début du mois dans La Terre de chez nous.
À 750 kilomètres de là, à la Ferme Pierre Bourdages, à Saint-Siméon-de-Bonaventure, son propriétaire Pierre Bourdages, déplore lui aussi un manque d’écoute.
« On a de l’amertume. On a le sentiment d’être incompris », souffle le producteur de fraises et de produits maraîchers, à la tête d’une centaine d’employés.
« On compétitionne avec des produits du Mexique, où le salaire moyen est de 2 $ l’heure », poursuit celui qui a un site agrotouristique couru dans son coin de pays.
ENDETTEMENT EN HAUSSE
Au Québec, le revenu net agricole est passé de 959 M$, en 2022, à 487,1 M$ l’an dernier (-49,2%). Il pourrait même diminuer à 66 M$ en 2024 (-86,5%), selon les prévisions de l’Union des producteurs agricoles (UPA). Si ces prédictions s’avèrent exactes, 2024 serait la pire année à ce chapitre depuis 1938.
Pire encore, entre 2010 et 2022, la dette agricole a bondi de 139 % (11,4 milliards $ en 2010 ; 27,2 milliards $ en 2022), alors que les revenus nets ont fait du surplace en 2022 (958,6 M$ en 2010 ; 959,0 M$).
En entrevue au Journal ,le président général de l’UPA,
Martin Caron, évoque un rasle-bol généralisé, qui gangrène l’industrie : « On parle d’autonomie alimentaire, mais le producteur ne peut plus s’endetter pour cela. Ça ne passe plus », résume l’homme au bout du fil.
En avril dernier, Le Journal rapportait que la moitié des agriculteurs étaient pris à la gorge par l’inflation et qu’une ferme sur dix menaçait carrément de fermer.
« Au Canada et au Québec, on est soutenu trois fois moins qu’aux États-Unis. Faut corriger le tir. Il faudra 130 M$ d’investissements », avance-t-il.
Le numéro 1 de l’UPA déplore aussi la lourdeur réglementaire et les délais énormes nécessaires pour faire des projets, comme les écofrais sur le diesel et le propane.
LE CABINET RÉAGIT
Invité à réagir par Le Journal, le cabinet du ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, a rappelé avoir bonifié son programme de pratiques agroenvironnementales de 34 millions $.
Contexte inflationniste, augmentation des taux d’intérêt, aléas de la météo… il a reconnu que ces derniers mois ont été durs.
« Les programmes ont soutenu pour plus d’un 1 milliard $ nos producteurs et productrices pour 2023, comparativement à 440 M$ en moyenne au cours des 10 dernières années », a-t-on indiqué.
« On cherche toujours à s’améliorer », a-t-on souligné. Le programme de l’assurance récolte est en cours de révision.
« On veut aussi réduire les contraintes en travaillant à diminuer la paperasse. On veut donner aux producteurs de l’air pour qu’ils aient plus de temps pour faire ce qu’ils font de mieux : nourrir les Québécoises et les Québécois », a-t-il conclu.
Le prix des intrants agricoles a explosé à un rythme deux fois plus rapide que l’indice des prix à la consommation entre 2020 et 2023 (intrants : +31 % ; IPC : +16 %), note l’UPA. Les coûts de main-d’oeuvre ont aussi bondi de façon majeure (+88 % entre 2010 et 2022).
« IL Y A DES ACTIONS LOURDES QUI VONT ARRIVER. C’EST LE DÉBUT DE LA COLÈRE »
– Adrien Papin, producteur céréalier