Loi 21 : victoire à plate couture, mais fragile
Avec l’incroyable jugement de la Cour d’appel d’hier sur la loi 21, on peut parler d’une victoire à plate couture de plusieurs personnes et idées.
D’abord, de la Coalition Avenir Québec de François Legault, qui a osé légiférer sur la laïcité, dans un environnement politique et juridique qui lui intimait de ne rien faire.
TEST INHIBANT
Depuis une quarantaine d’années, on inhibe les législateurs en leur disant que leurs idées doivent absolument « passer le test des tribunaux ».
Et puisque tout ou presque se trouve dans la jurisprudence, le résultat revenait à tétaniser les politiques, qui s’empêchaient de légiférer ou qui choisissaient d’attendre que des magistrats se prononcent.
Dans ce corset, le Québec ne pouvait exprimer ses choix propres de « nation », pourtant reconnue par les parlements (à défaut de l’être dans la constitution).
Une première fissure dans le mur du sacro-saint « test des tribunaux » a été opérée par la loi sur les soins de fin de vie de 2014. Les législateurs renouaient avec l’audace, forcèrent la Cour suprême à revoir son interprétation du droit à la vie. Les pouvoirs législatifs et judiciaires doivent pouvoir dialoguer.
CONSENSUS
Dès son arrivée au gouvernement en 2018, la CAQ a choisi de fondre dans la loi le consensus québécois sur le rapport entre la religion et l’État. Un rapport qui, en raison de l’histoire, diffère de celui qui prévaut dans le reste du continent.
Le gouvernement a alors osé utiliser la disposition de dérogation contenue dans la constitution.
Cela provoqua l’ire de nombreux juristes, aujourd’hui formés à admirer les juges et mépriser les législateurs. Certains d’entre eux espéraient même que la Cour d’appel commence à déclarer anticonstitutionnelle l’utilisation préventive de la disposition de dérogation (ce qui constituerait une modification constitutionnelle indirecte et illégale).
Au contraire, les juges Bich, Morissette et Savard ont rappelé la jurisprudence : en 1988 dans l’arrêt Ford, la Cour suprême a déjà tout dit. La dérogation, c’est dans la constitution et c’est donc permis. Point final. (Cela, en passant, augure mal pour ceux qui contestent la loi 96 sur la langue française.)
Comme l’indiquent bien les juges, tout le reste est politique : « Le ressac public et la réaction citoyenne sont aussi un rempart contre l’usage des dispositions de dérogation. […] l’électorat détient le pouvoir de défaire le gouvernement qui aurait usé [ou abusé] de la faculté de dérogation ».
Soulignons enfin que la Cour d’appel détricote de façon convaincante l’argumentaire douteux du juge Blanchard (de la Cour supérieure), qui avait étiré à l’excès la règle de l’autonomie des commissions scolaires minoritaires afin d’exempter les institutions anglophones de l’application de la loi 21.
Ces dernières, promptes à aller devant les tribunaux, voudront assurément poursuivre la contestation en Cour suprême. Les avocats fédéraux s’en mêleront. Et malgré la solidité du jugement Bich-Morissette-Savard, ceux qui crient victoire aujourd’hui pourraient bientôt déchanter. En attendant, la CAQ pourra parler avec plus de crédibilité de sa troisième voie entre le « canadianisme libéral » et le « souverainisme péquiste ».
Dès son arrivée au gouvernement en 2018, la CAQ a choisi de fondre dans la loi le consensus québécois sur le rapport entre la religion et l’État.