Le Journal de Montreal

Loi 21 : victoire à plate couture, mais fragile

Avec l’incroyable jugement de la Cour d’appel d’hier sur la loi 21, on peut parler d’une victoire à plate couture de plusieurs personnes et idées.

- Antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

D’abord, de la Coalition Avenir Québec de François Legault, qui a osé légiférer sur la laïcité, dans un environnem­ent politique et juridique qui lui intimait de ne rien faire.

TEST INHIBANT

Depuis une quarantain­e d’années, on inhibe les législateu­rs en leur disant que leurs idées doivent absolument « passer le test des tribunaux ».

Et puisque tout ou presque se trouve dans la jurisprude­nce, le résultat revenait à tétaniser les politiques, qui s’empêchaien­t de légiférer ou qui choisissai­ent d’attendre que des magistrats se prononcent.

Dans ce corset, le Québec ne pouvait exprimer ses choix propres de « nation », pourtant reconnue par les parlements (à défaut de l’être dans la constituti­on).

Une première fissure dans le mur du sacro-saint « test des tribunaux » a été opérée par la loi sur les soins de fin de vie de 2014. Les législateu­rs renouaient avec l’audace, forcèrent la Cour suprême à revoir son interpréta­tion du droit à la vie. Les pouvoirs législatif­s et judiciaire­s doivent pouvoir dialoguer.

CONSENSUS

Dès son arrivée au gouverneme­nt en 2018, la CAQ a choisi de fondre dans la loi le consensus québécois sur le rapport entre la religion et l’État. Un rapport qui, en raison de l’histoire, diffère de celui qui prévaut dans le reste du continent.

Le gouverneme­nt a alors osé utiliser la dispositio­n de dérogation contenue dans la constituti­on.

Cela provoqua l’ire de nombreux juristes, aujourd’hui formés à admirer les juges et mépriser les législateu­rs. Certains d’entre eux espéraient même que la Cour d’appel commence à déclarer anticonsti­tutionnell­e l’utilisatio­n préventive de la dispositio­n de dérogation (ce qui constituer­ait une modificati­on constituti­onnelle indirecte et illégale).

Au contraire, les juges Bich, Morissette et Savard ont rappelé la jurisprude­nce : en 1988 dans l’arrêt Ford, la Cour suprême a déjà tout dit. La dérogation, c’est dans la constituti­on et c’est donc permis. Point final. (Cela, en passant, augure mal pour ceux qui contestent la loi 96 sur la langue française.)

Comme l’indiquent bien les juges, tout le reste est politique : « Le ressac public et la réaction citoyenne sont aussi un rempart contre l’usage des dispositio­ns de dérogation. […] l’électorat détient le pouvoir de défaire le gouverneme­nt qui aurait usé [ou abusé] de la faculté de dérogation ».

Soulignons enfin que la Cour d’appel détricote de façon convaincan­te l’argumentai­re douteux du juge Blanchard (de la Cour supérieure), qui avait étiré à l’excès la règle de l’autonomie des commission­s scolaires minoritair­es afin d’exempter les institutio­ns anglophone­s de l’applicatio­n de la loi 21.

Ces dernières, promptes à aller devant les tribunaux, voudront assurément poursuivre la contestati­on en Cour suprême. Les avocats fédéraux s’en mêleront. Et malgré la solidité du jugement Bich-Morissette-Savard, ceux qui crient victoire aujourd’hui pourraient bientôt déchanter. En attendant, la CAQ pourra parler avec plus de crédibilit­é de sa troisième voie entre le « canadianis­me libéral » et le « souveraini­sme péquiste ».

Dès son arrivée au gouverneme­nt en 2018, la CAQ a choisi de fondre dans la loi le consensus québécois sur le rapport entre la religion et l’État.

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