Un mauvais diagnostic fait vivre « 30 ans d’enfer »
Une thérapeute lui diagnostique un fétichisme féminin
Femme dans un corps d’homme, une Québécoise qui voulait comprendre pourquoi elle se sentait différente a dû refouler son identité pendant près de 30 ans après le mauvais diagnostic d’un thérapeute, considéré comme une pratique de conversion.
« On est contraint à un placard, d’avoir une double vie, de cacher des choses, de mentir et ça devient excessivement lourd à vivre », a illustré Bianca* (nom fictif), qui a subi une telle pratique à la fin des années 1980.
Médicaments pour jouer sur la libido, hypnose ou encore psychothérapie, les pratiques de conversion peuvent prendre différentes formes et être « particulièrement dommageables au niveau psychologique », a expliqué Laurent Breault, directeur général de la Fondation Émergence, qui lutte contre l’homophobie et la transphobie.
Elles font partie de ces tentatives, explicite ou implicite, de faire pression sur une personne pour la conduire à refouler ou changer son orientation sexuelle, son identité de genre ou son expression de genre.
CATÉGORISÉE
Dès l’enfance, Bianca s’est demandé pourquoi elle n’était pas une fille. Face au manque de réponse, elle a continué sa vie, rencontré son épouse, mais le questionnement restait toujours dans un coin de son esprit.
Par moment, elle s’habillait en cachette avec des vêtements féminins. C’est d’ailleurs la découverte d’une de ces pièces par sa conjointe qui a ouvert la discussion.
Elle a décidé de rencontrer un spécialiste pour l’aider à comprendre sa situation. « Je me suis retrouvée chez un psychiatre de renom en 1987 qui traitait les troubles de genre », a-t-elle relaté.
Le thérapeute lui diagnostique un fétichisme féminin, c’est-à-dire le désir de porter des vêtements de femmes.
« On m’avait mis dans cette catégorie-là qui était un peu un fourre-tout des troubles associés à des comportements sexuels déviants. […] À l’époque, c’était une tentative de me ramener dans l’hétéronormativité », a analysé la femme maintenant âgée de 65 ans.
Comme elle, ce sont 5 % des personnes LGBTQ+ du Québec qui disent avoir été impliqué dans une thérapie de conversion au cours de leur vie, selon une enquête menée en 2022.
SENTIMENT DE HONTE
Au fil des rencontres, Bianca s’est sentie « honteuse » et « démunie ». Après une dépression, elle a choisi de se débarrasser de sa garde-robe féminine et de « continuer [sa] vie d’homme ».
« Par moment, je rechutais, j’avais besoin de vêtements pour ressentir et exprimer cette féminité », a-t-elle raconté.
Bianca a alors réalisé qu’elle ne voulait plus se cacher et a entrepris de nouvelles démarches avec des thérapeutes qui lui diagnostiquent une dysphorie de genre – soit la discordance entre son ressenti et son physique. Elle a finalement choisi un peu plus tard de faire sa transition, puis son coming-out en 2018.
« Quand j’ai rencontré mon autre thérapeute et qu’elle m’a dit “c’est ça que tu as”, c’est là où je me suis déchargée de cette culpabilité. Ça a été 30 ans d’enfer », a souligné la sexagénaire.
MIEUX OUTILLÉS
Les thérapies de conversion sont interdites depuis 2020 au Québec et 2022 au Canada, mais elles seraient toujours pratiquées malgré l’interdiction, a déploré le directeur de la Fondation Émergence.
« C’est juste que c’est tellement caché que c’est invisible », a-t-il nuancé.
Un symposium national sur les thérapies de conversion s’est tenu le 28 février sous l’égide d’Émergence. L’objectif était de réunir les intervenants de première ligne – comme la police ou le milieu scolaire – pour savoir déceler ces pratiques et les prévenir.
Aux yeux de Bianca, il s’agit d’une grande avancée et d’une prise de conscience.