Deux jobs à temps plein en même temps pour survivre
C’est le lot de près de la moitié des agriculteurs québécois de moins de 40 ans
Près de la moitié des jeunes agriculteurs n’ont d’autre choix que de travailler presque à temps plein à l’extérieur de leur ferme pour joindre les deux bouts, mais se voient pénalisés par la Financière agricole du Québec en raison de ce deuxième emploi.
« On ne le fait pas parce qu’on le veut, on le fait parce qu’on n’a pas le choix », insiste Anouk Caron, 28 ans, agronome et propriétaire d’un élevage de bisons à SaintHerménégilde, dans les Cantons-de-l’Est.
En plus de son poste de conseillère en production végétale à temps plein, elle consacre une vingtaine d’heures par semaine à la ferme qu’elle a mise sur pied en juillet dernier, sur une parcelle de champ louée à ses parents.
« Je travaille 7 jours sur 7. C’est le sacrifice que j’ai dû faire pour démarrer mon entreprise, qui ne fait aucun profit pour l’instant. Mais il faut quand même que je me loge, que je mange et que je paye mon char », rappelle l’agricultrice.
Anouk Caron fait partie des 44 % de jeunes de moins de 40 ans – définis comme la relève agricole – qui doivent cumuler un deuxième emploi à l’extérieur de leur exploitation, selon un récent sondage de l’Union des producteurs agricoles (UPA).
Ils y travaillent 30 heures par semaine en moyenne, en plus des dizaines d’autres à la ferme.
« Ça devient une surcharge. Une ferme, c’est tous les jours, c’est un mode de vie. Et ce qui me fait peur, c’est que le 44 % augmente chaque année », admet la présidente de la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ), Julie Bissonnette.
LES SUBVENTIONS RÉDUITES DE MOITIÉ
La situation inquiète également le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Martin Caron, qui remarque « un ras-le-bol » qui pourrait rapidement se transformer « en colère » si rien ne changeait.
Comme la FRAQ, il dénonce « l’injustice » du Programme d’appui financier à la relève agricole du gouvernement du Québec, qui a pour objectif d’aider les jeunes à démarrer ou à reprendre une entreprise.
Les montants alloués aux jeunes agriculteurs, jugés dérisoires, varient entre 20 000 $ et 50 000 $, en fonction du niveau de scolarité. Mais si une personne travaille plus de 21 heures par semaine à l’extérieur de la ferme, la subvention est réduite de moitié.
« Ça décourage plutôt les jeunes à se lancer en affaires, déplore M. Caron. La Financière agricole du Québec [qui relève du gouvernement] considère qu’ils font de l’agriculture à temps partiel, même s’ils sont capables de démontrer qu’ils travaillent à temps plein à la ferme. Il n’y a rien à comprendre. Ils n’ont pas le choix d’avoir une deuxième job, mais ils sont pénalisés. »
« Et ce n’est plus seulement la relève qui doit travailler hors de la ferme », assure-t-il.
En 2015, 36 % de tous les producteurs agricoles du Québec avaient un revenu à l’extérieur, selon les données de Statistique Canada. En 2020, ils étaient 46 %.
UN PROGRAMME DÉSUET
Avec les changements climatiques, les réglementations sur les pesticides, les installations pour assurer le bien-être animal, l’inflation et la hausse des taux d’intérêt et du prix des terres agricoles, le coût d’exploitation des fermes a explosé.
« J’ai l’impression que le financement n’est pas adapté aux nouvelles réalités », regrette la maraîchère et floricultrice Julia Janson, 34 ans, qui a démarré Les Jardins de la Renarde en 2022. Elle loue une terre à Bedford, en Estrie.
En plus de la trentaine d’heures consacrées à son entreprise de culture florale, elle travaille l’été comme animatrice horticole à la Ville de Montréal. Elle est également rédactrice d’articles horticoles et donne des cours d’horticulture au secondaire.
« Je n’ai jamais été aussi brûlée de ma vie, confie-t-elle. Mais je ne subviens pas à mes besoins seulement avec mon revenu de floricultrice. »
À la Financière agricole du Québec, on indique avoir accordé près de 61 millions $ en financement à la relève depuis les cinq dernières années, sans toutefois répondre aux questions de 24 heures concernant les problèmes décriés par les jeunes agriculteurs.