Le Journal de Montreal

UNE ÉPINE DANS LE DÉVELOPPEM­ENT ?

Des compagnies privées ont v ul e jour et dérangent plusieurs intervenan­ts de notre sport national

- Kevin.dube@quebecorme­dia.com

Jocelyn Thibault a parlé en long et en large des problèmes avec la gouvernanc­e dans le hockey pour expliquer son départ imminent comme directeur général de Hockey Québec, mais un autre irritant a contribué à vider sa réserve d’énergie, selon plusieurs personnes interrogée­s au cours des derniers jours : la multiplica­tion des circuits de hockey privés qui peuvent opérer sans rendre de comptes à la fédération ni appliquer ses recommanda­tions.

Le Journal a passé plusieurs jours à sonder différents intervenan­ts gravitant dans le monde du hockey, certains travaillan­t pour Hockey Québec, d’autres pas. Ce qu’on voulait savoir était simple en apparence : quels sont ces fameux « leviers » évoqués par Thibault qui manquent à Hockey Québec pour être en mesure d’opérer comme la véritable première instance du hockey dans la province mais, aussi, est-ce possible de les avoir et, si oui, comment ?

Au fil de nos discussion­s, on a toutefois réalisé que ce n’est pas si simple que ça et que, même si des avancées sont prévues dans les prochains mois, il reste encore du chemin à faire avant que Hockey Québec puisse avoir réellement les coudées franches et opérer avec les leviers qu’il désire. Et ça n’arrivera peut-être jamais.

Ces leviers concernent plusieurs enjeux, dont deux majeurs qui ont dérangé Thibault au point d’en venir à la conclusion qu’il était mieux pour lui de quitter. Il y a eu les enjeux de gouvernanc­e, et on y reviendra au cours des prochains jours, mais un élément majeur, dont Thibault a peu parlé lors de son départ, a meublé une bonne partie des conversati­ons avec nos différents intervenan­ts : le hockey privé, aussi connu sous les termes non sanctionné ou non fédéré.

QUEL RÔLE POUR LA FÉDÉRATION ?

Jocelyn Thibault est demeuré vague sur les exemples concrets qui l’ont poussé à quitter son poste à Hockey Québec. Pour deux intervenan­ts consultés, le manque de contrôle de la fédération sur les circuits privés qui s’installent en province a aussi contribué à venir à bout de sa réserve d’énergie avec l’imposant dossier de la gouvernanc­e.

L’exemple le plus récent aura été l’arrivée de la USPHL, ce circuit américain non sanctionné, donc non assujetti aux règles de Hockey Québec, qui tentera une percée au Québec à partir de la saison prochaine avec quatre équipes et dont le but est d’aider les joueurs à se dénicher des postes dans les université­s américaine­s.

« Ce qui me dérange, c’est qu’on arrive avec des programmes de développem­ent basés sur la science. Si la moitié des joueurs disent qu’ils ne croient pas à ça et qu’ils s’en vont dans du hockey non sanctionné, il est où notre contrôle sur le développem­ent du hockey au Québec ? », mentionnai­t Thibault au Journal, le 13 février dernier.

L’EXEMPLE DU M9

Cette question, quand on s’y attarde, est lourde de sens : quel rôle a réellement Hockey Québec dans la province ? La fédération a-t-elle vraiment un contrôle et un impact sur le développem­ent du hockey, ici ? Au sens plus large, est-ce que la population veut que ce soit la fédération qui chapeaute tout ?

La USPHL n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui a irrité le directeur général sortant. Le plus concret qu’on nous a raconté : l’implantati­on du programme M9 (ou novice) demi-glace au début de la saison 2019-2020, proposant aux joueurs de 7 et 8 ans de disputer leurs matchs à quatre contre quatre, sur une demi-glace. Le tout, basé sur des données scientifiq­ues tangibles, allait permettre aux jeunes de cette catégorie, où la différence entre les plus et les moins avancés est souvent grande, de jouer davantage dans le plaisir tout en y voyant leur développem­ent être optimisé.

Dès l’or, des compagnies privées en ont profité pour proposer des alternativ­es pleine glace pour les jeunes de cet âge.

« Ils se remplissen­t les poches avec ça », déplore une personne interpellé­e.

RIEN D’ILLÉGAL

Hockey Québec évalue également depuis un certain temps la possibilit­é de retirer l’aspect « compétitio­n » dans les catégories de bas âge, donc d’y retirer les statistiqu­es personnell­es, notamment, dans le but que le plaisir soit mis à l’avant-plan. Toutefois, elle hésite à le faire parce qu’elle sait qu’une entreprise saisira la balle au bond et offrira un service où les statistiqu­es

individuel­les sont mises de l’avant.

Il est important de le préciser : rien n’empêche une entreprise privée de faire du hockey sans être sanctionné­e par Hockey Québec et, donc, de décider de ses règles sans avoir de comptes à rendre à la fédération ni accepter ses propositio­ns. N’importe qui, demain matin, pourrait créer sa propre ligue indépendan­te et l’opérer comme bon lui semble.

La Ligue de hockey préparatoi­re scolaire (LHPS) en est un bon exemple, d’ailleurs. Ce circuit a été créé en parallèle par cinq membres fondateurs, sans être sous la gouverne de Hockey Québec et offrait une offre de service différente. Après avoir évolué de façon indépendan­te pendant quelques années, elle s’est finalement jointe au Réseau du sport étudiant, récemment, une organisati­on qui opère sous l’égide de Hockey Québec.

Mais ce manque de contrôle sur les entreprise­s privées qui peuvent aller à l’encontre de ce que Hockey Québec propose a été difficile à gérer, et à digérer, pour Thibault.

« Il me l’a dit souvent, mais ça l’a brûlé. Il ne comprenait pas pourquoi il n’avait aucun pouvoir pour les arrêter », nous raconte un homme de hockey d’expérience, citant aussi les ligues de hockey AAA de printemps, une véritable mine d’or pour ses organisate­urs.

« Tu te promènes dans le stationnem­ent et si tu arrives avec ton Nissan Rogue, tu détonnes ! », lance-t-il pour illustrer son propos.

UN AUTRE LEVIER ?

Thibault a discuté à plusieurs reprises de cet irritant avec la ministre des Sports, Isabelle Charest.

Selon ce qu’on en comprend, Hockey Québec s’attend à obtenir davantage de leviers en vertu du projet de loi modifiant la Loi sur la sécurité dans les sports.

On est toutefois loin de la coupe aux lèvres. Cette loi pourrait imposer à toute pratique du hockey au Québec d’être faite en respectant les règles de sécurité et d’intégrité incluses dans celle-ci.

« Après, on verra comment ça va impacter les ligues indépendan­tes. Est-ce que ce sera trop contraigna­nt pour eux ? On n’a pas les réponses à ça, encore », ajoute Thibault.

Une loi n’éliminera pas le hockey privé, toutefois. Après tout, il serait impensable

d’interdire à quiconque ne fait pas partie de Hockey Québec de louer des heures de glace et d’y offrir des cours de hockey. « On n’a pas le pouvoir d’interdire une ligue, confirme la ministre Isabelle Charest. Ce qu’on peut faire, c’est obliger à respecter un règlement de sécurité. [...] Ces ligues en parallèle n’opèrent pas en fonction de la science et de ce qui est recommandé. C’est aux parents de se poser la question. »

Un point de vue que partage Jocelyn Thibault. En fin de compte, c’est une importante réflexion sur le rôle de Hockey Québec qui doit être entamée.

« Si, au Québec, on continue d’accepter qu’il y ait plein de ligues qui prennent de l’expansion et qui font du hockey qui n’est pas aligné avec la science et le développem­ent sportif, qu’on vend du rêve, ce sera ça. Est-ce qu’au Québec, on est à l’aise avec le fait que les gens ne suivent pas la fédération ? Si c’est le cas, c’est quoi, le rôle de la fédération ? »

Une grande question, quand on considère tout le pouvoir qu’il lui manque pour établir ses grandes orientatio­ns.

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À LIRE LUNDI
Qui peut faire débloquer les « leviers » qui ont manqué à Jocelyn Thibault ?
PHOTOS D’ARCHIVES Selon ce qu’on en comprend, Hockey Québec s’attend à obtenir davantage de leviers en vertu du projet de loi modifiant la Loi sur la sécurité dans les sports. À LIRE LUNDI Qui peut faire débloquer les « leviers » qui ont manqué à Jocelyn Thibault ?
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JOCELYN THIBAULT DG sortant de Hockey Québec

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