Investissement Québec refuse de dévoiler dans quels commerces ses employés dépensent les fonds publics
Prétendant vouloir protéger des renseignements personnels, Investissement Québec refuse de dévoiler dans quels commerces ses employés utilisent leurs cartes de crédit d’entreprise. Impossible donc de savoir s’ils choisissent de dîner chez Thaï Express ou chez Toqué! avec l’argent des contribuables.
En réponse à une demande d’accès à l’information, IQ a remis au Journal une liste des transactions faites avec ses cartes de crédit au cours des trois dernières années, mais en prenant soin d’y caviarder tous les fournisseurs.
La société d’État, dirigée depuis un mois par Bicha Ngo, refuse ainsi de dévoiler où elle effectue pour près de 3 M$ d’achats par année.
Pourtant, Investissement Québec n’est pas à l’abri de dépenses douteuses.
En février, Le Journal révélait qu’une réunion d’employés avec alcool et
DJ tenue en novembre avait coûté 115 000 $. L’organisme n’a pas voulu dire s’il y avait un lien entre cette fête et le congédiement du vice-président Jocelyn Beauchesne, aussi en novembre.
Selon IQ, la compagnie aérienne que choisit un employé ou le magasin dans lequel il achète du matériel de bureau est un renseignement personnel.
La responsable de l’accès à l’information d’IQ, Danielle Vivier, avance que « par les noms des fournisseurs et les dates de transactions, il serait possible de suivre un employé en déplacement ».
« Dans d’autres cas, le nom d’un fournisseur permet d’identifier sa localisation précise, près de la résidence d’un employé », ajoute-t-elle.
Pourtant, Le Journal n’a jamais demandé à ce qu’apparaisse le nom des employés qui ont fait chacune des
42 395 transactions.
Selon Nicholas Jobidon, professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP), le « nom d’un fournisseur de l’État ne devrait pas être une information confidentielle ».
Cette façon de faire ne « respecte pas l’esprit de la Loi sur les contrats des organismes publics ».
« L’article 2 de la loi dit qu’on veut favoriser la transparence [...]. Ça le dit noir sur blanc », rappelle l’avocat expert des contrats publics. « Le but de la loi, c’est de s’assurer que les fonds publics ne sont pas mal gérés, qu’entre autres il n’y a pas de collusion, de corruption ou de patronage. »
LE CULTE DU SECRET
Cette loi oblige depuis 2008 les organismes à rendre public tout contrat de plus de
25 000 $.
Or, ce n’est pas parce que les « contrats » payés par carte de crédit sont de moins de 25 000 $ qu’ils peuvent pour autant rester secrets, juge M. Jobidon.
« L’utilisation de la carte de crédit doit respecter les grands principes de droit des marchés publics : l’efficacité administrative, oui, mais aussi la confiance du public envers l’octroi de contrats et la transparence dans les processus contractuels », explique le professeur.
Selon les informations fournies, IQ a effectué 29 achats de plus de
10 000 $ avec ses cartes de crédit depuis 2021, dont huit pour des billets d’avion.
La dépense la plus élevée, qui se trouve dans la catégorie « Salons, expositions et événements », se chiffre à 22 877,29 $.