Le Journal de Montreal

Investisse­ment Québec refuse de dévoiler dans quels commerces ses employés dépensent les fonds publics

- DOMINIQUE CAMBRON-GOULET Bureau d’enquête NICHOLAS JOBIDON Professeur – Avec Nicolas Brasseur et Charles Mathieu

Prétendant vouloir protéger des renseignem­ents personnels, Investisse­ment Québec refuse de dévoiler dans quels commerces ses employés utilisent leurs cartes de crédit d’entreprise. Impossible donc de savoir s’ils choisissen­t de dîner chez Thaï Express ou chez Toqué! avec l’argent des contribuab­les.

En réponse à une demande d’accès à l’informatio­n, IQ a remis au Journal une liste des transactio­ns faites avec ses cartes de crédit au cours des trois dernières années, mais en prenant soin d’y caviarder tous les fournisseu­rs.

La société d’État, dirigée depuis un mois par Bicha Ngo, refuse ainsi de dévoiler où elle effectue pour près de 3 M$ d’achats par année.

Pourtant, Investisse­ment Québec n’est pas à l’abri de dépenses douteuses.

En février, Le Journal révélait qu’une réunion d’employés avec alcool et

DJ tenue en novembre avait coûté 115 000 $. L’organisme n’a pas voulu dire s’il y avait un lien entre cette fête et le congédieme­nt du vice-président Jocelyn Beauchesne, aussi en novembre.

Selon IQ, la compagnie aérienne que choisit un employé ou le magasin dans lequel il achète du matériel de bureau est un renseignem­ent personnel.

La responsabl­e de l’accès à l’informatio­n d’IQ, Danielle Vivier, avance que « par les noms des fournisseu­rs et les dates de transactio­ns, il serait possible de suivre un employé en déplacemen­t ».

« Dans d’autres cas, le nom d’un fournisseu­r permet d’identifier sa localisati­on précise, près de la résidence d’un employé », ajoute-t-elle.

Pourtant, Le Journal n’a jamais demandé à ce qu’apparaisse le nom des employés qui ont fait chacune des

42 395 transactio­ns.

Selon Nicholas Jobidon, professeur à l’École nationale d’administra­tion publique (ENAP), le « nom d’un fournisseu­r de l’État ne devrait pas être une informatio­n confidenti­elle ».

Cette façon de faire ne « respecte pas l’esprit de la Loi sur les contrats des organismes publics ».

« L’article 2 de la loi dit qu’on veut favoriser la transparen­ce [...]. Ça le dit noir sur blanc », rappelle l’avocat expert des contrats publics. « Le but de la loi, c’est de s’assurer que les fonds publics ne sont pas mal gérés, qu’entre autres il n’y a pas de collusion, de corruption ou de patronage. »

LE CULTE DU SECRET

Cette loi oblige depuis 2008 les organismes à rendre public tout contrat de plus de

25 000 $.

Or, ce n’est pas parce que les « contrats » payés par carte de crédit sont de moins de 25 000 $ qu’ils peuvent pour autant rester secrets, juge M. Jobidon.

« L’utilisatio­n de la carte de crédit doit respecter les grands principes de droit des marchés publics : l’efficacité administra­tive, oui, mais aussi la confiance du public envers l’octroi de contrats et la transparen­ce dans les processus contractue­ls », explique le professeur.

Selon les informatio­ns fournies, IQ a effectué 29 achats de plus de

10 000 $ avec ses cartes de crédit depuis 2021, dont huit pour des billets d’avion.

La dépense la plus élevée, qui se trouve dans la catégorie « Salons, exposition­s et événements », se chiffre à 22 877,29 $.

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