La réforme de la construction pourrait nuire à la performance de l’industrie
Elle ne s’attaque pas au problème de sous-utilisation des travailleurs actuels, souligne notamment une étude
« DES GENS QUALIFIÉS ET DISPONIBLES NE SONT MIS À CONTRIBUTION QU’ENVIRON 50 % DU TEMPS PAR RAPPORT À D’AUTRES MÉTIERS
RÉPUTÉS “À TEMPS PLEIN” »
– Francis Gosselin,économiste
La réforme de la construction du gouvernement Legault risque de nuire à la performance de l’industrie puisqu’elle compromet l’expertise régionale et ne s’attaque pas à la sous-utilisation des travailleurs actuels.
C’est la conclusion d’une étude commandée par le Conseil provincial des métiers de la construction (L’International) réalisée par Francis Gosselin, docteur en économie, chroniqueur au Journal et collaborateur à QUB radio.
Selon les plus récents chiffres publiés par la Commission de la construction du Québec, les ouvriers ne sont rémunérés en moyenne que pour 1062 heures de boulot par an, l’équivalent de 26,5 semaines de travail.
« Cela signifie que des gens qualifiés et disponibles ne sont mis à contribution qu’environ 50 % du temps par rapport à d’autres métiers réputés “à temps plein”. Dans ce contexte, il est assez surprenant d’entendre autant d’experts évoquer la pénurie de main-d’oeuvre. Le problème au Québec n’est pas, en nombre absolu, un manque de travailleurs dans la construction, mais une utilisation sous-optimale de ceux et celles qui y travaillent déjà », lit-on dans le document.
EXCELLENT OUTIL CONTRE LA PÉNURIE
L’auteur suggère que pour chaque augmentation de 1 % du nombre d’heures travaillées, la pénurie serait atténuée d’environ 2000 travailleurs.
Ainsi, si chaque ouvrier effectuait une semaine de travail additionnelle par an (hausse de 6 %), on pourrait dire adieu au manque de bras.
Le projet de loi du ministre Jean Boulet visant à moderniser l’industrie, qui décloisonne les métiers de la construction et donne le feu vert à la mobilité interrégionale des travailleurs, fait donc fausse route, selon l’étude.
Non seulement les deux mesures phares du gouvernement risquent d’avoir un effet « négligeable » sur la performance de l’industrie, mais elles pourraient même être « dommageables », conclut l’économiste.
PLUS CRIANT EN RÉGIONS ÉLOIGNÉES
C’est que le sous-emploi affecte davantage les régions. Les ouvriers des coins éloignés travaillent en moyenne près de trois semaines de moins que leurs collègues de Québec, de Montréal ou de la Mauricie.
« En laissant les travailleurs en région à ce niveau famélique, il est évident qu’on nuit à la productivité, en plus d’ajouter de nombreux coûts (per diem, frais de déplacement, primes) pour les travailleurs venant d’ailleurs. La mesure de mobilité prévue au projet de loi 51 ne fait donc qu’aggraver le problème de la performance régionale ».
Rappelons que les entrepreneurs pourront débarquer sur les chantiers du Québec sans embaucher de travailleurs locaux, selon la réforme caquiste de l’industrie de la construction.
Le gouvernement Legault interdira même aux futures conventions collectives de limiter la mobilité interrégionale des ouvriers.
INACTION FACE AU TRAVAIL AU NOIR
Selon Francis Gosselin, Québec néglige aussi de s’attaquer au travail au noir, principalement concentré dans le secteur de la construction résidentielle.
« Alors que la trajectoire semblait se dessiner vers une graduelle élimination du travail souterrain, les plus récentes données publiées par Statistique Canada témoignent d’une recrudescence de la problématique de manière générale au Québec. Avec la Colombie-Britannique, le Québec compte parmi les pires provinces au pays en matière de travail au noir », note-t-il.