Le Journal de Montreal

Leur PME paierait beaucoup moins d’impôts avec un salarié de ... plus

Cette situation aberrante est due à ce qu’on appelle souvent la « règle des 5500 heures »

- GABRIEL CÔTÉ

« On nous enlève de l’argent comme si on était une multinatio­nale, mais on est juste deux employées », peste une entreprene­ure de Québec, qui doit envoyer 8000 $ de plus à l’impôt chaque année parce que son entreprise est jugée trop petite par Revenu Québec, une mesure maintenue dans le dernier budget en dépit des revendicat­ions des groupes de défense des PME.

« Si j’avais juste un employé de plus, je sauverais plusieurs milliers de dollars en impôt », se désole Kathleen McMartin, qui a une petite entreprise de comptabili­té dans le secteur des Saules, à Québec. « C’est une injustice flagrante ! »

Cette « injustice », les petites entreprise­s comme celle de Mme McMartin ont coutume de l’appeler la « règle des 5500 heures ».

Sous cette barre, qui équivaut à peu près à trois employés à temps plein, les PME qui oeuvrent dans les secteurs des services et de la constructi­on doivent envoyer une plus grosse portion de leurs revenus au fisc, car ils n’ont plus droit à la totalité de la déduction pour petite entreprise (DPE) qui fixe le taux d’imposition des PME à 3,2 %.

Dépendamme­nt du nombre d’heures travaillée­s, ces très petites entreprise­s voient donc leur taux augmenter graduellem­ent jusqu’à celui des plus grosses entreprise­s, soit 11,5 %, quand elles sont sous le seuil de 5000 heures. Il s’agit d’une majoration de 259 %.

C’est précisémen­t ce que vivent Kathleen McMartin et son associée, Manon Paré Monier. « À deux, on travaille 4160 heures par année », explique cette dernière.

« Je voudrais bien m’en sauver et engager une troisième personne, mais il faudrait que j’aie du travail à lui donner », soupire Mme McMartin. « Ça ne se fait pas en claquant des doigts ! »

UNE PARTICULAR­ITÉ QUÉBÉCOISE

C’est le gouverneme­nt libéral de Philippe Couillard qui a mis cette mesure fiscale en place en 2017, pour éviter que des travailleu­rs autonomes se fassent passer pour des entreprise­s en faisant mine d’engager des proches afin de profiter d’avantages fiscaux.

« Le problème, c’est que ça affecte les vraies entreprise­s comme nous », s’indigne la comptable.

Année après année, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendan­te (FCEI) demande au gouverneme­nt québécois d’abolir cette règle, en vain. « C’est une des plus grandes injustices fiscales au pays, et le gouverneme­nt fait la sourde oreille », tonne le vice-président pour le Québec de l’organisati­on, François Vincent.

« Ce genre de règle n’existe nulle part ailleurs au Canada, toutes les autres provinces font bénéficier les petites entreprise­s d’un taux réduit », poursuit-il.

« BOMBE À RETARDEMEN­T »

M. Vincent estime par ailleurs que la règle des 5500 heures est une « véritable bombe à retardemen­t » dans le contexte de la pénurie de main-d’oeuvre.

« Pour bien des entreprise­s, c’est une épée de Damoclès. Ils savent que s’ils perdent un employé, leur taux d’imposition risque d’exploser ! », illustre-t-il.

Or, redonner accès à la DPE à l’ensemble des petites entreprise­s aurait un impact considérab­le sur les finances de l’État. En 2022, le ministre des Finances Eric Girard estimait que ce changement priverait le gouverneme­nt de 800 M$ par année, soit l’équivalent des sommes prévues dans le dernier budget pour « favoriser la réussite éducative des jeunes ».

Mais le jeu en vaut la chandelle, croit François Vincent.

« Abolir cette règle, c’est l’équivalent de créer 10 000 emplois directs et indirects, car les entreprise­s pourraient donner de meilleurs salaires à leurs employés et rembourser leurs dettes. Ce serait de l’argent qui retournera­it directemen­t dans les collectivi­tés », conclut-il.

« ON NOUS ENLÈVE DE L’ARGENT COMME SI ON ÉTAIT UNE MULTINATIO­NALE, MAIS ON EST JUSTE DEUX EMPLOYÉES. »

– Kathleen McMartin, copropriét­aire d’une PME

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PHOTO GABRIEL CÔTÉ Kathleen McMartin et son associée, Manon Paré Monier, dans les locaux de leur toute petite entreprise, dans le secteur des Saules, à Québec.

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