Le Journal de Montreal

Des bourses de recherche du fédéral réservées aux personnes noires

Ottawa cherche ainsi à « corriger la sous-représenta­tion » des personnes noires dans le milieu universita­ire

- GABRIEL CÔTÉ

Les étudiants de premier cycle en sciences humaines et en santé doivent « s’identifier comme personne noire » pour pouvoir demander une bourse de recherche au gouverneme­nt fédéral.

« JE COMPRENDS QU’IL Y A EU DES INJUSTICES PAR LE PASSÉ, MAIS LÀ, CE QUI EST EN TRAIN D’ARRIVER, C’EST QU’ON FAIT DE LA DISCRIMINA­TION POUR TENTER DE RÉGLER UN PROBLÈME »

– Louis-Joseph Brouillard, étudiant en biologie

« Ça me scandalise, peste Louis-Joseph Brouillard, étudiant en biologie à l’Université Laval. Je comprends qu’il y a eu des injustices par le passé, mais là, ce qui est en train d’arriver, c’est qu’on fait de la discrimina­tion pour tenter de régler un problème, en privant une génération de chercheurs qui n’ont rien à voir avec tout ça. »

L’année dernière, Ottawa a débloqué des fonds publics, une quarantain­e de millions de dollars sur cinq ans, pour « corriger la sous-représenta­tion » des personnes noires dans le milieu universita­ire.

L’ARTILLERIE LOURDE

Mais on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs. Sachant que l’obtention d’une bourse tôt dans le parcours académique permet de décrocher plus facilement du financemen­t quand vient le temps de passer aux cycles supérieurs, le fédéral a décidé de réserver certaines bourses d’études, parmi celles qui existaient déjà, aux étudiants chercheurs noirs.

Le hic, c’est qu’il a en même temps créé d’autres bourses qui n’ont pas d’équivalent­s du côté des organismes subvention­naires fédéraux et auxquelles les autres étudiants n’ont tout simplement pas accès.

C’est le cas des bourses de recherche de premier cycle en sciences humaines (CRSH) et en santé (IRSC) de 6000 $, qui permettent à des jeunes de développer de l’expérience en recherche, tôt dans leur parcours académique. En tout, les établissem­ents universita­ires québécois peuvent octroyer jusqu’à 68 de ces bourses chaque année.

« Pour que votre demande soit admissible, vous devez vous identifier comme personne noire », est-il écrit noir sur blanc sur la page de présentati­on de ces programmes.

« Pour le conseil de recherche en sciences naturelles et en génie (CRSNG), une partie de ce financemen­t a été affectée au programme BRPC existant. Puisque le CRSH et les IRSC n’offraient toujours pas le programme BRPC en 2022, ces organismes ont lancé ce programme dans le cadre de ce nouveau financemen­t », a expliqué un porte-parole du CRSH, dans une déclaratio­n écrite transmise au Journal.

Comme il est déjà au deuxième cycle et qu’il étudie dans un autre domaine, Louis-Joseph Brouillard n’est pas directemen­t touché par cette situation.

« Ça préoccupe plusieurs étudiants, surtout ceux qui aspirent à une carrière en recherche, car ce sont les premiers qui vont être affectés », témoigne-t-il.

CONTROVERS­E

Ce problème a d’ailleurs provoqué un débat la semaine dernière sur les réseaux sociaux lorsqu’un message à ce sujet a été publié sur la page Facebook « Spotted: Université Laval ».

« L’idée d’une société basée sur la division d’individus en groupes en fonction des phénotypes est en train de désagréger la nature du mérite, de la libre expression ainsi que l’ensemble des valeurs libérales pour lesquelles nos ancêtres se sont tant battus », a lancé l’auteur sous le couvert de l’anonymat, comme c’est généraleme­nt le cas dans les pages de type « Spotted ».

Cette publicatio­n a suscité plusieurs réactions, parfois hargneuses, de part et d’autre. Certains partageaie­nt l’indignatio­n de l’auteur, alors que d’autres ont plaidé en faveur de cette discrimina­tion sous prétexte que « le système privilégie[rait] les étudiants non racisés ».

Il y avait bien peu de monde à l’Université Laval au lendemain de ce petit débat, car c’était toujours la semaine de lecture.

« Je trouve ça étrange », a confié une étudiante de deuxième année rencontrée sur le campus. « Il me semble que la couleur de la peau ne devrait pas être un critère. »

Quand nous lui avons demandé son nom, elle est devenue nerveuse et a expliqué qu’elle ne voulait pas parler publiqueme­nt des organismes subvention­naires alors qu’elle présentera elle-même des demandes de bourse pour sa maîtrise dans les prochains mois.

« Ne me citez pas s’il vous plaît », a-t-elle imploré.

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PHOTO GABRIEL CÔTÉ Louis-Joseph Brouillard, qui étudie à l’Univesité Laval, déplore qu’on prive toute une génération de chercheurs pour régler un problème dont ils ne sont en aucune manière responsabl­es.

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