Le Journal de Montreal

Un sauveur ou un criminel ?

La diaspora haïtienne de Montréal est partagée à propos du chef de gang Jimmy « Barbecue » Chérizier

-

À l’intérieur de Montréal, le journalist­e Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.

Même dans un chaleureux commerce haïtien où la caissière appelle ses clients « mes chéris » et où flotte le parfum réconforta­nt de la cuisson du griot de porc, le chaos politique avec flambée d’ultraviole­nce dans la petite république caribéenne fait planer son ombre.

Non loin de la station de métro Jarry, dans le quartier Villeray, le Marché Méli Mélo est une épicerie de produits caribéens.

C’est aussi un restaurant bien-aimé des friands de cuisine haïtienne. Un comptoir se cache au fond, avec trois tables.

Je me suis posté jeudi dans ce portail, où l’on peut avoir les pieds à Montréal et la tête à Haïti.

Beaucoup hésitent à parler au journalist­e. Leurs craintes sont justifiées.

« Pas mon nom et pas mon visage ! » s’exclame le premier homme que j’interroge.

« Ce que tu vas écrire sera lu à Haïti. Ma famille vit là. Je ne veux pas qu’on s’en prenne à elle si je fâche quelqu’un. »

Natif du quartier de Bel Air, à Port-au-Prince, cet homme dit avoir été à l’école primaire avec Jimmy Cherizier, alias Barbecue, un bandit-influenceu­r charismati­que devenu le parrain d’une partie du crime organisé (je ne peux bien sûr pas vérifier son affirmatio­n).

PAS UN MONSTRE

Pourquoi Barbecue ? Ce surnom lui viendrait de l’excellent poulet grillé que cuisinait sa mère, selon le quotidien américain The New York Times.

« Je le connais depuis longtemps, Barbecue, et ce n’est pas le monstre que la presse dépeint », me dit son ancien condiscipl­e, sans préciser sa pensée malgré mes questions.

Un employé, Claude Junior Théramène, que je trouve en train de lire les pages sportives du Journal, m’éclaircit ce mystère.

« Sur les réseaux sociaux en créole, il y a un culte entourant Barbecue. Certains aimeraient qu’il devienne ministre ou qu’il fasse le ménage. Parce que Haïti a besoin d’une réinitiali­sation. »

« Ils ne voient pas en lui un bandit, mais un révolution­naire. »

Impossible de faire dire à M. Théramène s’il partage cet enthousias­me ou non. Lui ne craint pas de donner son nom : sa famille vit loin de Port-au-Prince.

« Je suis arrivé en 2000 et je lis Le Journal et j’écoute LCN, mais certains vivent mentalemen­t en Haïti 24 h/24 et ne savent même pas qu’il y a eu un budget cette semaine. »

M. Théramène a suffisamme­nt adopté l’identité québécoise pour rêver de se faire snowbird à sa retraite – un snowbird des Caraïbes qui passerait l’hiver à Haïti.

COLÈRE ET DÉSESPOIR

Lorsque je mentionne un engouement populaire autour de Barbecue, Simone, une cliente qui attend son repas, s’étrangle d’indignatio­n :

« C’est grotesque de voir un sauveur dans un pareil criminel ! J’ai des amis qui ont eu un fils kidnappé pendant six mois. Ils ont dû payer quatre fois la rançon pour le faire libérer. »

VOYOUS ARMÉS

« Je ne peux pas aller dans ma maison à Haïti parce que, sur la route, à chaque tronçon, il y a des guérites avec des voyous armés qui exigent de l’argent », déplore Charles, un client.

« Tout est déréglé, là-bas ! » renchérit sa femme, Marie.

« On s’imagine qu’on a atteint le fond, puis on trouve le moyen de tomber encore plus bas », se désespère-t-elle.

Pendant mon après-midi au Méli Mélo, je me sustente en mangeant du griot. La caissière me fait essayer du « champagne de fruits », une sorte de crème soda jaune, et une pâtisserie haïtienne.

« Ne reste pas trop longtemps ici : tu vas devenir gros », me dit-elle.

AFP | Haïti, en proie à la violence des gangs, connaît une instabilit­é politique chronique, dont voici les principaux épisodes depuis la fin de la dictature des Duvalier jusqu’à la démission du premier ministre Ariel Henry.

 ?? ??
 ?? PHOTOS D’ARCHIVES AFP ET LOUIS-PHILIPPE MESSIER ?? Le chef de gang haïtien Jimmy Chérizier, alias Barbecue, armé jusqu’aux dents dans la capitale Port-au-Prince le 11 mars dernier. En mortaise, Claude Junior Thérémène a été le seul à accepter de parler à visage découvert, les autres craignant les conséquenc­es sur leur famille à Haïti.
PHOTOS D’ARCHIVES AFP ET LOUIS-PHILIPPE MESSIER Le chef de gang haïtien Jimmy Chérizier, alias Barbecue, armé jusqu’aux dents dans la capitale Port-au-Prince le 11 mars dernier. En mortaise, Claude Junior Thérémène a été le seul à accepter de parler à visage découvert, les autres craignant les conséquenc­es sur leur famille à Haïti.
 ?? ??
 ?? ?? Jimmy Chérizier, influent chef de gang surnommé « Barbecue »
Jimmy Chérizier, influent chef de gang surnommé « Barbecue »

Newspapers in French

Newspapers from Canada