Le Journal de Montreal

La chute d’un premier ministre contesté

À la fois illégitime et désavoué, Ariel Henry avait accédé au pouvoir en Haïti après l’assassinat de Jovenel Moïse en 2021

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AFP | Médecin réputé, mais responsabl­e politique contesté, Ariel Henry, qui a démissionn­é lundi dernier, s’était emparé du pouvoir en Haïti après l’assassinat du président Jovenel Moïse, en 2021. Ce dernier l’avait nommé premier ministre deux jours avant sa mort, mais Ariel Henry n’a jamais réussi à mettre fin aux violences et au chaos dans son pays.

Ariel Henry, 74 ans, s’est d’abord fait un nom en Haïti au fil de son parcours profession­nel de neurologue, après des études de médecine en France. Chef du service de neurochiru­rgie d’un des hôpitaux privés les plus réputés d’Haïti, enseignant dans les université­s d’État de la capitale Port-au-Prince, il n’entre que tardivemen­t en politique.

En janvier 2015, le chef de l’État Michel Martelly le nomme ministre de l’Intérieur, un poste qu’il occupe moins de huit mois. Puis, en septembre 2015, Ariel Henry prend le portefeuil­le des Affaires sociales et du Travail pendant une période six mois, avant de quitter la vie politique pour les cinq prochaines années. En juillet 2021, le président Jovenel Moïse le choisit comme son septième premier ministre.

Deux jours seulement après cette nomination, Jovenel Moïse est assassiné dans sa résidence par un commando composé d’anciens militaires colombiens.

CRISES À RÉPÉTITION

L’attentat plonge le pays, déjà fragile, dans une confusion totale. Ariel Henry n’a alors même pas eu le temps de prendre officielle­ment ses fonctions. Après deux semaines de flou et sous la pression des ambassades étrangères, il est finalement installé à la tête du gouverneme­nt en souffrant déjà d’un déficit de légitimité.

L’enquête sur l’assassinat du président va accroître la défiance à son égard : la nuit du meurtre, Ariel Henry a eu plusieurs conversati­ons téléphoniq­ues avec l’un des principaux suspects. Un enregistre­ment attribué à un juge accusant M. Henry d’avoir planifié l’attentat est diffusé ensuite par la chaîne américaine CNN.

Face à ces accusation­s, le premier ministre fustige un « tapage orchestré au niveau national et internatio­nal » et dénonce une « diversion ».

Alors que la société civile peine à s’entendre pour offrir une alternativ­e, le premier ministre conserve le contrôle de l’État, sans grands résultats face aux crises à répétition qui secouent le pays.

Bien avant la mort du président Jovenel Moïse, les gangs avaient étendu leur mainmise sur le pays. Le 1er janvier 2022, Ariel Henry est même contraint de fuir sous des rafales de tirs la cérémonie de la fête nationale, organisée dans la ville des Gonaïves. Cette « tentative d’assassinat », qu’il dénonce avec fermeté, ne l’empêche pas de maintenir son programme politique, à savoir l’organisati­on d’élections et l’adoption d’une nouvelle Constituti­on.

Haïti entame alors, avec à sa tête un premier ministre contesté et sans assise populaire, le quatrième régime de transition de l’histoire de sa jeune démocratie, née à la suite de la chute de la dictature des Duvalier en 1986.

C’est finalement la crise actuelle qui précipite sa chute, alors que les gangs étendent leur emprise sur Port-au-Prince, formant une alliance dans le but déclaré de renverser le premier ministre qui aurait dû quitter ses fonctions début février. Des bandes criminelle­s attaquent des commissari­ats, l’aéroport de la capitale ou encore des prisons, libérant des milliers de détenus.

POLICIERS KENYANS

« Si Ariel Henry ne démissionn­e pas, si la communauté internatio­nale continue de le soutenir, nous allons tout droit vers une guerre civile qui conduira à un génocide », lance le 5 mars le principal chef de gang Jimmy Chérizier, alias « Barbecue ».

Quand survient cette flambée de violence, Ariel Henry est en visite officielle au Kenya, afin de signer un accord pour l’envoi de policiers kenyans en Haïti dans le cadre d’une mission internatio­nale soutenue par l’ONU et les États-Unis.

Son avion, empêché d’atterrir en Haïti, l’emmène finalement dans l’île américaine de Porto Rico, d’où il annonce sa démission.

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Ariel Henry
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La « perle des Antilles » est aujourd’hui un pays ravagé.
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PHOTOS AFP ET D’ARCHIVES

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