Survivre à 220 % de taux d’intérêt
L’Union des consommateurs dénonce un « Far West » des prêts usuraires qui affecte les plus vulnérables
De plus en plus poussés vers des prêts rapides au taux usuraire de 200 %, des Québécois sont laissés à eux-mêmes face à des financiers du dimanche. Un important prêteur privé vient d’ailleurs de recevoir une tape sur les doigts de la justice.
L’entreprise, qui fonctionnait sous le nom de Prêt Instant ou Creditmatik ou Prêt Express 911, disait prêter à 29 % d’intérêt, mais appliquait plutôt un taux réel de 157 % à 228 %, calcule l’Office de la protection du consommateur (OPC). Le taux de crédit ne peut dépasser 60 % en vertu du Code criminel du Canada.
Prêt Instant pensait se soustraire à certaines obligations de la Loi sur la protection du consommateur en offrant des contrats de crédit variable et non des contrats de prêts. L’entreprise facturait des frais d’adhésion et d’assurance pour chaque prêt, si bien qu’elle pouvait réclamer plus de 500 $ à ses clients pour un prêt de 250 $.
La Cour supérieure n’a pas été convaincue par les arguments de l’entreprise et l’a condamnée, en octobre dernier, pour 12 prêts consentis à des consommateurs qui éprouvaient des difficultés financières ou qui avaient besoin d’argent rapidement.
« PAS ASSEZ DISSUASIF »
La sanction : 13 914 $ d’amendes pour l’entreprise et 10 800 $ pour son président, Nicolas St-Pierre. Au moment des faits, l’homme exploitait pourtant l’une des plus importantes entreprises de prêts privés au Québec avec 30 M$ en prêts actifs.
« Ce n’est pas assez dissuasif. Il faut plus de sanctions, des amendes plus salées et plus de financement pour l’OPC », déplore le codirecteur de l’Union des consommateurs, Maxime Dorais. L’organisme sait depuis longtemps que les victimes de ces crimes économiques n’intéressent pas la police. Les prêteurs ont le champ libre pour profiter de la vulnérabilité des Québécois rattrapés par le coût de la vie.
« C’est un crime sans violence, sans mort. Mais les victimes se font prendre dans une spirale infernale qui peut avoir de graves conséquences », indique M. Dorais.
L’Union des consommateurs ne demande qu’à collaborer avec les corps policiers afin « qu’on s’organise au Québec » pour mater ce qui ressemble de plus en plus à un Far West.
« Ils profitent des gens vulnérables. C’est dégueulasse », s’insurge Josiane Lemire au sujet des prêteurs privés. La Montréalaise de 37 ans sait de quoi elle parle : elle a contracté au moins 30 prêts rapides au fil du temps.
Aux prises avec un problème de jeu, elle a touché le fond du baril avant de s’en sortir. Aujourd’hui, elle paye ses prêts un à un et souhaite témoigner afin d’aider les gens autant que pour dénoncer ceux qu’elle appelle « des requins ».
« Il y en a un qui me réclame 630 $ pour un prêt de 250 $, c’est n’importe quoi », raconte la préposée aux bénéficiaires. Elle se surprend encore d’avoir pu obtenir des prêts alors qu’elle flaubait tout dans les casinos en ligne et que son solde était à 0.
PLUS POPULAIRE QUE JAMAIS
Prêt Instant est l’une des 20 entreprises que Josiane Lemire a trouvées sur Google pendant sa descente aux enfers et qui lui a prêté de l’argent en trois clics et quelques heures à peine.
« Il n’y a qu’une seule entreprise qui m’a bien traitée, et ce n’est pas celle-là », raconte celle qui était accro aux casinos en ligne. Elle en a long à dire sur les méthodes de recouvrement parfois brutales de ces entreprises ou sur leur tactique pour inciter à s’enfoncer davantage.
« Quand tu es à l’avant-dernier paiement, ils t’offrent un nouveau prêt plus gros que le premier », donne-t-elle en exemple.
Québec pensait bien avoir bien fermé le robinet de ces prêteurs en 2019 avec sa nouvelle loi. Mais ils ont conçu de nouveaux contrats et sont plus populaires que jamais.
On en comptait 147 autorisés à faire des prêts assortis de taux d’intérêt allant jusqu’à 35 % en 2022, contre 188 aujourd’hui.
Les 10 enquêteurs que compte l’OPC en ont plein les bras avec eux, mais ne peuvent pas grand-chose sans l’aide des autorités.
« Il faut des sanctions plus dissuasives », répète l’Union des consommateurs, qui milite pour un taux d’intérêt maximal de 30 %.
LA RÉPONSE D’ALTERFINA
Prêt Instant n’existe plus sous ce nom. « Prêt Instant a évolué vers Alterfina pour s’adapter au marché et faire évoluer son offre de service », répond l’entreprise. Nicolas St-Pierre « n’est plus impliqué au sein d’Alterfina » depuis 2021, dit-on. Au cours des dernières années, Alterfina aurait « adressé les préoccupations en améliorant ses pratiques et ses services ».
« ILS PROFITENT DES GENS VULNÉRABLES. C’EST DÉGUEULASSE .»
– Josiane Lemire