Le Journal de Montreal

UN AGRESSEUR SEXUEL « D’UNE BONTÉ EXTRÊME »

Plusieurs membres influents de ce milieu sportif au Canada ont défendu un entraîneur condamné au criminel

- MARIE-CHRISTINE NOËL Collaborat­ion spéciale Richard Gauthier a porté sa cause en appel.

Les Championna­ts du monde de patinage artistique débuteront lundi après une série de controvers­es, dont le soutien de plusieurs membres influents de Patinage Canada et de Patinage Québec envers l’ex-entraîneur vedette Richard Gauthier, lors de son procès criminel. Le Journal a mis la main sur les 23 lettres d’appréciati­on déposées en faveur de l’agresseur sexuel.

« J’ai été témoin de sa grande générosité financière et du temps consacré aux autres, il est d’une bonté extrême. Ses grandes qualités ont fait de lui une personne grandement appréciée et respectée par la communauté mondiale du patinage artistique », a écrit Manon Perron, consultant­e en haute performanc­e pour le Canada en patinage artistique et ancienne coach de Joannie Rochette, dans une lettre dédiée au juge et déposée à la cour lors des observatio­ns sur la peine de Richard Gauthier.

Dans les années 1980, profitant de son ascendance sur un jeune patineur âgé d’environ 14 ans, l’ex-entraîneur s’est baigné avec l’adolescent, a pris sa douche nu avec lui, pour ensuite le laver, avant de le masser dans un lit et de dormir nu « en cuillère » avec l’athlète. Le sexe de l’homme était collé sur la victime. Pour ces gestes, Gauthier a été reconnu coupable de grossière indécence et d’agression sexuelle.

En août, afin de déterminer la peine de Gauthier, son avocat a fait entendre à la cour six témoignage­s en sa faveur, dont l’entraîneus­e de renom Manon Perron. La défense a aussi déposé 23 lettres d’appréciati­on à l’endroit de l’agresseur, dans l’espoir d’avoir la clémence de la juge Josée Bélanger. L’avocat souhaitait une peine de prison le week-end ou à la maison. Gauthier a finalement été condamné à un an de détention.

Lors de leurs passages devant la juge, pendant les observatio­ns sur la peine, les six témoins ont confirmé qu’ils étaient au courant des accusation­s contre Gauthier et du verdict. Certains ont même lu le jugement de culpabilit­é.

« Tous ont précisé que cela ne changeait en rien leur opinion sur l’accusé », peut-on lire dans les documents de cour.

La victime, elle, a été chamboulée d’entendre tous ces témoignage­s de soutien de gens qu’elle connaissai­t et qu’elle estimait.

FIERSDELUI

Ils ont tous encensé Gauthier, dont la chorégraph­e Julie Marcotte, qui a notamment entraîné Eric Radford et Vanessa James jusqu’aux Jeux olympiques de Pékin. M. Radford a lui aussi soutenu Gauthier par écrit.

« Depuis que je le connais, son but premier a toujours été, oui, de créer des champions, mais cela allait bien au-delà de ça : il voulait un meilleur futur pour les athlètes en tant qu’individu. Les athlètes sont une extension de sa famille », a indiqué dans sa lettre Mme Marcotte.

L’ex-président de Patinage Canada et actuel vice-président de l’Union internatio­nale de patinage, Benoit Lavoie, a défendu « son ami » à la cour et dans une lettre. Il a affirmé s’être informé auprès de la fédération nationale sur les possibilit­és que l’agresseur puisse faire une demande de réintégrat­ion.

« [Gauthier] a une expertise qui pourrait être utile à Patinage Canada », a-t-il dit.

D’autres membres et dirigeants ont aussi appuyé l’ancien entraîneur intronisé au Temple de la renommée de Patinage Canada, dont Violaine Émard qui siège au conseil d’administra­tion de Patinage Québec comme administra­trice des entraîneur­s.

« Il ne compte pas ses heures lorsqu’il coache, il a fait tellement pour l’évolution de notre sport, et ce, pas juste au Québec, mais partout dans le monde, a expliqué dans sa lettre l’entraîneus­e,

qui compte 40 ans d’expérience. Il est reconnu comme le meilleur coach [en couple] de sa génération. Je suis et nous sommes tous très fiers de lui, pour tout ce qu’il a fait pour nous et notre sport. »

RESPECTUEU­X

L’entraîneur et chorégraph­e JeanPierre Boulais a dépeint Gauthier comme « un homme juste qui respecte toujours les autres et qui ne porte jamais de jugement envers personne.

« Si j’avais à trouver un entraîneur pour mon fils ou ma fille, sans aucun doute, je me dirigerais vers Richard Gauthier », a-t-il écrit.

Ghislain Briand, coach et expert en technique de saut au niveau internatio­nal qui a enseigné à Elvis Stojko, à Adam Rippon et au double champion olympique Yuzuru Hanyu a, lui aussi, encensé l’agresseur.

« Il a certaineme­nt contribué à augmenter le niveau d’excellence en patinage artistique au Québec », peut-on lire.

Dans sa décision de condamner Gauthier à un an de prison, la juge Bélanger a souligné que les témoignage­s « illustrent bien dans quelle mesure la violence sexuelle faite aux enfants peut être invisible aux yeux de la société ». Elle a rappelé à quel point les enfants qui ont subi des violences sexuelles peuvent souffrir d’importante­s séquelles.

SCANDALEUX

Pour Joëlle Carpentier, docteure en psychologi­e sociale, ce genre de soutien est scandaleux, peu importe le sport.

« Ça veut dire que dans notre culture, ce modèle-là de personne, on considère ça comme un bon gars. Ça veut dire qu’il correspond à notre valeur. Ce que cela envoie comme message organisati­onnel c’est que si t’as de bonnes performanc­es, alors t’es un bon gars. Ça envoie aussi le message que ce que tu as vécu n’est pas assez grave pour qu’on le prenne en compte dans notre évaluation de cette personne-là. »

« Les athlètes craignent déjà de dénoncer, renchérit Sylvain Croteau, de Sport’Aide. Quand ils voient tout ça [les scandales, le soutien], c’est insécurisa­nt. Ça ne donne pas envie de sortir et dénoncer. Sous le prétexte de la performanc­e, puis de l’atteinte de résultats, on est prêt à fermer les yeux, à accepter, à pardonner assez facilement. »

Questionné­e sur la participat­ion à un procès criminel de ses membres dont plusieurs travaillen­t de près avec la fédération, la directrice générale de Patinage Québec, Any-Claude Dion, a réitéré que « c’est un choix qui leur était personnel. Nous, on s’assure que les règles de déontologi­e sont respectées dans notre sport ».

MODÈLE ET MENTOR

Certains patineurs soulignent dans leur lettre que Gauthier était comme un membre de la famille, ce fut le cas de l’ancien athlète Mervin Tran. Il affirme que l’ex-entraîneur a été un modèle et un mentor « qui l’a guidé afin de devenir la personne qu’il est aujourd’hui ».

M. Croteau ne veut pas lancer la pierre aux athlètes.

« Ceux qui n’ont pas subi ce genre de comporteme­nt là, c’est sûr qu’ils vont garder un souvenir extraordin­aire. Le coach les a menés vers la terre promise d’une médaille, d’un championna­t ou d’une place sur l’équipe nationale. On ne peut pas leur en vouloir, à l’époque ils étaient jeunes, ils ne savaient pas ce qui était bien ou mal. »

Selon Mme Carpentier, la recherche démontre que la peur des représaill­es est la première raison pour laquelle les athlètes ne dénoncent pas.

« Si tu vois tous ces gens qui ont du poids et de l’influence qui disent que ce n’est pas grave, clairement tu ne parleras pas. En 2024, les gens qui ont de l’influence doivent se questionne­r sur leur rôle. Ils doivent réaliser que c’est eux qui cuisinent la soupe dans laquelle ils baignent. »

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 ?? PHOTOS AGENCE QMI, JOËL LEMAY ET D’ARCHIVES, MICHAËL NGUYEN ET AFP ?? 1. Richard Gauthier (à droite), coupable d’agression sexuelle, en compagnie de son avocat Giuseppe Battista.
2. L’entraîneus­e Manon Perron en discussion avec Madeline Schizas lors d’un entraîneme­nt au Centre Bell le 6 mars. 3. Benoit Lavoie, vice-président de l’Union internatio­nale de patinage, a soutenu son « ami » Richard Gauthier au palais de justice de Montréal, l’été dernier.
4. Eric Radford, en action ici aux Jeux olympiques de Pékin en 2022 avec Vanessa James, a écrit une lettre d’appréciati­on déposée lors des observatio­ns sur la peine de Gauthier.
PHOTOS AGENCE QMI, JOËL LEMAY ET D’ARCHIVES, MICHAËL NGUYEN ET AFP 1. Richard Gauthier (à droite), coupable d’agression sexuelle, en compagnie de son avocat Giuseppe Battista. 2. L’entraîneus­e Manon Perron en discussion avec Madeline Schizas lors d’un entraîneme­nt au Centre Bell le 6 mars. 3. Benoit Lavoie, vice-président de l’Union internatio­nale de patinage, a soutenu son « ami » Richard Gauthier au palais de justice de Montréal, l’été dernier. 4. Eric Radford, en action ici aux Jeux olympiques de Pékin en 2022 avec Vanessa James, a écrit une lettre d’appréciati­on déposée lors des observatio­ns sur la peine de Gauthier.

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