Le Journal de Montreal

Le Québec aurait avantage à abolir les pourboires

- francis.gosselin @quebecorme­dia.com

Ça fait des décennies qu’on l’évoque, mais le temps est peut-être venu d’abolir le pourboire au Québec.

Surtout qu’il s’est installé partout dans les commerces du Québec une habitude un peu pernicieus­e qui consiste à demander du pourboire pour des tâches qui n’en méritent pas. Un café filtre, un comptoir pour emporter, une borne automatiqu­e (!), tout le monde est désormais admissible à une petite prime versée par le consommate­ur.

Avec les paiements numériques en forte croissance, les pourcentag­es « suggérés » sont en train de s’introduire dans nos habitudes. En 2022, 10 % des transactio­ns au Canada étaient en argent comptant, représenta­nt 1 % de la valeur totale du commerce… mais deux personnes sur trois (65 %) affirment qu’elles n’auraient pas laissé de pourboire si le terminal de paiement n’avait pas offert l’option.

Ça donne envie de se remettre à l’argent liquide.

NOMBREUX EFFETS PERVERS

Pourtant, plusieurs études démontrent les effets pervers de la culture du pourboire, tant sur les employés eux-mêmes que sur la relation avec les clients.

Malgré tout, on apprenait ces derniers jours que la dernière « innovation » à la mode consiste à rajouter des émojis heureux ou fâchés afin d’inciter les clients à donner davantage.

C’est de la manipulati­on psychologi­que, rien de moins.

Le pourboire a été officielle­ment intégré au droit du travail québécois dans les années 1930, sous l’impulsion du secteur hôtelier.

Adoptée en 1937, la Loi des salaires raisonnabl­es avance principale­ment deux choses : 1) le pourboire appartient à l’employé (et pas au patron), mais 2) le patron peut payer l’employé à pourboire moins cher de l’heure pour compenser.

Il y a donc dès le départ cette idée que l’argent versé en boni par le client donne droit à une rémunérati­on moindre de l’employé, ce qui fait l’affaire… des patrons.

MÊME LOGIQUE QU’EN 1937

Près de 100 ans plus tard, la même logique est toujours à l’oeuvre : donner du pourboire, c’est reconnaîtr­e que l’employé n’est pas assez bien payé.

Le chercheur Ofer Azar étudie la question depuis plus de 20 ans, et conclut que cette pratique « permet au client de montrer de la gratitude, de l’empathie et de la compassion pour des salariés à faible revenu ». Dans la plupart des pays, selon Ofer Azar, le pourboire est un palliatif aux mauvaises conditions de travail.

PAYEZ MIEUX POUR GAGNER MIEUX

La principale cause du pourboire galopant est donc un problème de gestion. Plutôt que de rémunérer les gens à leur juste valeur, on préfère remettre l’odieux (et la culpabilit­é) sur le dos du client.

Qui plus est, les données montrent que depuis 50 ans, la rémunérati­on globale des travailleu­rs à pourboire augmente moins rapidement que celle des autres employés. On perpétue donc une injustice qui n’a rien à voir avec la qualité du service ou du produit vendu. C’est un système que nous tolérons.

Aux États-Unis, le Center for American Progress a même montré que les États qui avaient aboli le salaire minimum à pourboire avaient connu une croissance plus rapide et des économies plus résiliente­s au cours de la dernière décennie.

Il y a donc, pour le Québec collective­ment, pour ses travailleu­rs et ses patrons, un véritable avantage à éliminer cette pratique.

Ce ne sera pas facile dans l’immédiat, mais tout le monde gagnera à long terme.

La principale cause du pourboire galopant est donc un problème de gestion. Plutôt que de rémunérer les gens à leur juste valeur, on préfère remettre l’odieux (et la culpabilit­é) sur le dos du client

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