Le Journal de Montreal

Il a fait trembler les financiers d’ici

L’ancien politicien et journalist­e Yves Michaud, surnommé le Robin des banques, s’est éteint à l’âge de 94 ans

- JULIEN MCEVOY

«Le sang des pauvres doit arrêter de nourrir les grassouill­ets parasites qui nous dévorent. Nous nous y emploieron­s. Avec l’aide du monde ordinaire.»

C’est ce qu’écrivait Yves Michaud il y a 50 ans, dans le premier numéro du journal Le Jour. Mort à 94 ans mardi soir, celui qu’on surnommait «le Robin des banques» n’a jamais eu la langue dans sa poche.

«Il méritait son surnom. On n’en fait plus des comme lui», lance Willie Gagnon, successeur d’Yves Michaud à la tête du Mouvement d’éducation et de défense des actionnair­es (MÉDAC).

RÉMUNÉRATI­ON DES BANQUIERS

Le Robin des banques en a mené, des combats, avec cette organisati­on qu’il a fondée en 1995. La rémunérati­on des hauts dirigeants était son principal point d’attaque.

«Le PDG de la Caisse de dépôt gagne 500 000$. Le premier ministre du Québec gagne 400 000$. Comment un patron de grande banque peut-il gagner 10 M$?»

C’est ce qu’il se demandait lors de sa dernière sortie publique, en 2012, lors de l’assemblée annuelle des actionnair­es de la Banque Nationale. Le patron Louis Vachon venait de voir sa rémunérati­on passer de 5,7 M$ à 8,5 M$, un record à l’époque.

«Les banques empruntent à 1,5% et nous prêtent à 4%. Il n’y a pas de mérite à faire des profits dans ces conditions», avait-il rajouté en entrevue avec les journalist­es.

Louis Vachon a préféré ne pas s’entretenir avec Le Journal, mercredi, au sujet de son vieil adversaire.

UN TIRE-POIS CONTRE UN TANK

Le premier combat d’Yves Michaud contre les banques s’est déroulé devant un juge, en 1996. Trois d’entre elles (Royale, Nationale et Scotia) refusaient d’inscrire ses propositio­ns dans la circulaire destinée aux actionnair­es.

«Je me trouvai un jour gris de décembre devant des cours de justice où je n’avais jamais mis les pieds de ma vie. Seul, sans avocat, n’ayant pas les moyens financiers de défrayer les honoraires salés d’un brillant procureur, il me fallut éplucher la Loi sur les banques pour défendre tant bien que mal mes propositio­ns devant la cour», écrit-il dans son livre Les raisons de la colère, publié en 2004.

Le journalist­e de profession a bien travaillé, car la juge Pierrette Rayle lui a donné raison en janvier 1997. La magistrate a ordonné aux banques d’inclure ses propositio­ns, un jugement qui est depuis le socle du MÉDAC.

IL ACHALAIT LES PATRONS

Yves Michaud était sans relâche, se rappelle son fils Luc avec émotion.

«Avoir un père comme lui, c’est un défi. C’est une grosse pointure», dit-il.

La place manque pour honorer les nombreuses anecdotes racontées par Luc Michaud avec Le Journal, lors d’un entretien de quelques minutes, mercredi.

La fierté suinte du fils quand il raconte à quel point son père «achalait» les patrons, que ce soit celui de Metro – prononcé sans accent, «ce qui les rendait fous» –, de Couche-Tard ou de Power Corporatio­n.

« On ne lui en passait pas une », résumet-il. La liste de ses combats dans le monde de l’économie est longue, que l’on pense aux sièges sociaux ou à l’évasion fiscale, sans oublier les «salaires indécents et autres avantages indus que se votent les dirigeants des banques».

«Il est temps que l’on s’occupe davantage de la protection du public et des épargnants que du bien-être et du train de vie excessif de ceux qui ont pour fonction de gérer de l’argent qui ne leur appartient pas», écrivait-il en 1995.

UN HÉROS

Sa culture et sa verve sont d’ailleurs ce dont se souvient le mieux une de ses vieilles soeurs d’armes.

«C’est un homme à qui il faut rendre beaucoup d’hommages différents», souligne l’ex-ministre péquiste Louise Beaudoin.

Elle a moins suivi ses activités de Robin des banques. C’est son passage comme diplomate à Paris qui l’inspire davantage.

«Il a vraiment été un précurseur, un pionnier des relations diplomatiq­ues entre le Québec et la France», lance celle qui, comme Yves Michaud avant elle, a été déléguée du Québec en France.

C’était aussi un «héraut (et un héros!)» de la langue française au Québec, ajoutet-elle, avant de souligner que M. Michaud était peut-être «le meilleur ami» de René Lévesque.

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