Le Journal de Montreal

Le prix des légumes pourrait exploser

L’imposition de visas aux travailleu­rs mexicains par Ottawa pourrait se transforme­r en cauchemar agricole

- FRANCIS HALIN

Des centaines de travailleu­rs étrangers temporaire­s (TET) mexicains qui ont du mal à obtenir leur visa pour venir ici pourraient compromett­re le début de la saison, faire exploser les prix des légumes et même pousser des fermes à la faillite.

« Ça semble être une catastroph­e. C’est une chicane entre deux gouverneme­nts, et nous, on subit », soupire Catherine Lefebvre, présidente de l’Associatio­n des producteur­s maraîchers du Québec (APMQ).

« Si les premiers travailleu­rs ne peuvent pas arriver, ça veut dire qu’il y aura des répercussi­ons sur les plantation­s, les récoltes et les revenus », résume-t-elle.

Quelque 4500 travailleu­rs mexicains sont attendus d’ici la mi-juin. Or, des centaines d’entre eux, attendus en avril pour préparer les récoltes, n’ont pas encore leurs fameux papiers.

C’est que depuis le 29 février dernier, les travailleu­rs mexicains doivent répondre aux mêmes exigences que celles imposées aux autres citoyens mexicains par le Canada : avoir un visa d’entrée. Mais cette démarche n’est pas si simple pour eux là-bas.

Et les effets se font déjà sentir chez nous. « L’imposition du visa aux citoyens mexicains diminue les achats de billets d’avion, obligeant Aeromexico à annuler plusieurs vols en avril et mai », mentionne une infolettre interne de la Fondation des Entreprise­s en Recrutemen­t de Main-d’oeuvre agricole Étrangère (FERME) obtenue par Le Journal.

D’après Catherine Lefebvre, présidente de l’APMQ, il faut avoir d’urgence ces bras autour du 15 ou 20 avril pour commencer les plantation­s au champ, sinon « il n’y en a pas de solution ».

« La première production impactée sera les asperges, car elles doivent être prêtes début mai », souffle-t-elle.

« C’EST TRÈS INQUIÉTANT »

À Saint-Thomas, dans Lanaudière, le propriétai­re d’Asperges Primera, Mario Rondeau, dort moins bien depuis que l’incertitud­e plane autour de ses travailleu­rs.

« C’est très inquiétant. Sur 23, j’en ai 14 qui ont un visa, cinq qui ont payé et qui attendent la réponse de l’ambassade là-bas », confie celui qui cultive des asperges blanches et mauves depuis huit ans.

« Il y a des vols d’annulés en avril, car les avions se remplissen­t moins chez Aeromexico. C’est sûr que ce sera le bordel », partage celui qui a écrit à son député pour dénoncer la situation.

« S’ils arrivent deux semaines en retard, les dégâts seront faits », dit-il.

MAUX DE TÊTE

À 130 kilomètres de là, dans la MRC des Jardins-de-Napiervill­e, Marc-André Van Winden des Fermes Hotte et Van Winden inc., à Napiervill­e, déplore que la moitié seulement de ses 30 travailleu­rs mexicains soient prêts à arriver en avril comme prévu.

« Ça me cause des maux de tête, car on a un printemps hâtif. On voulait nos travailleu­rs rapidement », confie l’agriculteu­r de la Montérégie.

Il comprend mal pourquoi Ottawa a été capable de pousser la machine durant la pandémie, mais qu’il ne semble pas capable de le faire maintenant.

« Ce sont eux qui ont créé le problème, donc ils ont les outils pour le résoudre », lance celui qui porte aussi le chapeau de vice-président de FERME.

IMMIGRATIO­N CANADA SE DÉFEND

« C’EST TRÈS INQUIÉTANT. SUR 23, J’EN AI 14 QUI ONT UN VISA, CINQ QUI ONT PAYÉ ET QUI ATTENDENT LA RÉPONSE DE L’AMBASSADE LÀ-BAS » –Mario Rondeau, Asperges Primera

Joint par Le Journal, Immigratio­n, Réfugiés et Citoyennet­é Canada (IRCC) n’a pas été en mesure de répondre à nos questions.

Jeudi dernier, Emploi et Développem­ent social Canada (EDSC) a annoncé de son côté que le pourcentag­e de travailleu­rs étrangers temporaire­s (TET) autorisés passera de 30 % à 20 % en mai prochain,

« Nous avons annoncé notre intention de diminuer l’embauche de travailleu­rs étrangers temporaire­s au Canada et d’encourager les employeurs à trouver les talents dont ils ont besoin ici, dans notre pays », a indiqué le ministre canadien de l’Emploi, Randy Boissonnau­lt.

Il y a un mois, Le Journal rapportait qu’une certaine colère commençait à se cristallis­er chez les agriculteu­rs québécois, après celle de leurs confrères en Europe qui ont manifesté pendant plusieurs jours.

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PHOTO FRANCIS HALIN Le propriétai­re d’Asperges Primera, Mario Rondeau, sur sa ferme Asperges Primera à Saint-Thomas, dans Lanaudière.

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