Le Journal de Montreal

Il faut qu’on se parle de caricature

La guerre Hamas-Israël est en train de devenir une guerre des caricature­s.

- Sophie.durocher@quebecorme­dia.com

Au Québec, La Presse a retiré une caricature montrant Nétanyahou en vampire et s’est excusée. En France, une dessinatri­ce est menacée de mort pour une caricature du ramadan à Gaza. J’étais Charlie en 2015, quand des dessinateu­rs de Charlie Hebdo ont été assassinés. Je suis Charlie en 2024 quand des dessinateu­rs sont menacés de mort. Être Charlie, ça signifie qu’on ne veut pas que des dessinateu­rs meurent à cause de leurs dessins. Ça ne signifie pas qu’on peut publier n’importe quoi.

DESSINE-MOI UNE CONTROVERS­E

Quand j’ai entendu Justin Trudeau dénoncer hier la caricature de Serge Chapleau de La Presse, j’ai pensé deux choses.

1. De quoi il se mêle ? Ce n’est pas à un politicien de nous dire ce qui est acceptable ou pas ni de dicter aux médias leur code de conduite.

2. Voilà un homme qui pédale fort pour regagner la confiance de la communauté juive qui n’a pas apprécié sa position récente sur le conflit en Israël.

Maintenant, est-ce que la caricature de La Presse peut être perçue comme antisémite ? Oui, sans hésitation, m’a dit hier à QUB radio Eta Yudin, du CIJA.

Il faut rappeler que les nazis associaien­t le personnage de Nosferatu aux juifs, car pour eux, ils étaient, comme les vampires, des êtres sanguinair­es assoiffés de sang.

Oui, mais Chapleau caricatura­it seulement le PM israélien, pas les juifs en général, me direz-vous. Si un caricaturi­ste avait dessiné Barack Obama en cannibale, avec un os en travers du nez, aurait-on dit : oui, mais il caricature seulement le président, pas tous les Noirs ?

Je pose la question : comment une caricature peut ne pas être perçue comme antisémite alors qu’elle utilise une iconograph­ie antisémite ?

En ce moment, en France, la dessinatri­ce Coco est sous protection policière, à cause d’un dessin publié dans Libération. Il est coiffé du titre : Ramadan à Gaza : début d’un mois de jeûne. On y voit dessiné un jeune Palestinie­n tellement affamé qu’il court après des coquerelle­s et des rats. Une femme à ses côtés, assise parmi les ruines, lui dit « T-T-T… pas avant le coucher du soleil ».

Depuis, elle est menacée de mort ! Il faut rappeler que Coco est une survivante de la tuerie de Charlie Hebdo .Il faut d’ailleurs lire son livre de dessins Dessiner encore, dans lequel elle raconte le traumatism­e qui l’habite encore.

Sur son site internet, la chaîne Al Jazeera a écrit : « Le journal français Libération se moque des Palestinie­ns affamés et les caricature ». Sur X, Coco a affirmé au contraire que pour elle, ce dessin illustre « le désespoir des Palestinie­ns, dénonce la famine à Gaza et moque aussi l’absurdité de la religion ».

LA MORT AU BOUT DES CRAYONS

C’est le rôle des caricaturi­stes de tremper leur crayon dans le vitriol, de provoquer, de créer le malaise. Sinon, on les limite à dessiner des lapins gambadant dans la campagne.

Il n’y a que deux limites à la liberté d’expression : la diffamatio­n et l’incitation à la haine.

Est-ce que Coco et Chapleau ont incité à la haine ou… dénoncé la haine ?

Dans le climat actuel, plus personne n’entend à rire et chacun voit la haine dans le crayon de l’autre.

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Coco PHOTO AFP

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