Ma fille a été sauvée par sa chiro
La chiropraticienne d’Alice, en attente d’un médecin depuis 1180 jours, a détecté son problème au dos
Il y a six mois, ma fille Alice a subi une chirurgie majeure au dos. On lui a fusionné trois vertèbres. Si rien n’avait été fait, ses vertèbres auraient glissé l’une sur l’autre jusqu’à provoquer des problèmes d’incontinence ou, encore pire, une paralysie des membres inférieurs.
Même si son problème de santé était grave, ce n’est pas un médecin qui a sonné l’alerte. C’est sa chiropraticienne. Inquiète de voir que ses douleurs perduraient, elle a recommandé de voir un médecin. Après une consultation dans une clinique sans rendez-vous, Alice a passé une radiographie de la colonne vertébrale.
Puis, plus aucune nouvelle dans les semaines suivantes. À la clinique, on nous a expliqué que le médecin avait accumulé du retard dans sa paperasse. La chiropraticienne a ensuite demandé si elle pouvait consulter elle-même la radiographie dans le dossier de ma fille.
Après avoir regardé le rapport de radiologie, elle nous a dit qu’Alice devait voir d’urgence un orthopédiste. Trois mois après la première consultation avec un spécialiste de l’Hôpital Shriners, elle est passée sur la table d’opération. Neuf heures de chirurgie suivies de plusieurs mois de réadaptation.
SUIVI DE LA MÉDICATION
Pourquoi je vous raconte cette histoire ? Parce que ma famille n’a plus de médecin depuis décembre 2020. Celle qui s’occupait de nous jusque-là a choisi d’aller exercer dans une autre région. Nous sommes donc orphelins de médecin depuis maintenant 1180 jours. Il n’y a personne qui effectue le suivi médical de ma femme, nos quatre enfants et moi-même.
Comme nous, 2,3 millions de personnes au Québec vivent sans ce filet de sécurité avec toutes les conséquences que cela implique. Par exemple, on a dû ajuster la médication de ma fille pour d’autres problèmes de santé avec le pharmacien. Personne d’autre ne s’assure que la dose prescrite continue d’être la bonne, même si elle grandit.
J’aurais pu me tourner vers le privé, me direz-vous, mais je ne le fais pas par principe. Je viens d’un milieu modeste et j’estime que l’argent ne devrait pas te donner un accès privilégié à un médecin.
D’autant plus que les taxes et impôts que je paie, avec l’ensemble des contribuables québécois, servent à payer une bonne partie de la coûteuse formation des médecins. Québec verse plus de 40 000 $ par année pour chaque étudiant au doctorat*.
Je ne leur reproche pas de choisir le privé. Pour des patients, c’est parfois la seule façon d’être soignés. Pour certains médecins, c’est la solution pour se sortir la tête de l’eau. La moitié des médecins sont débordés, selon un récent sondage du Collège des médecins de famille du Canada.
Or, le manque de suivis médicaux ne fait qu’empirer le problème. En Alberta, le suivi de patients diabétiques par un médecin de famille a fait chuter de 18 % les consultations évitables à l’urgence**.
LISTE D’ATTENTE ÉPURÉE
Je ne perds toutefois pas l’espoir que ma famille obtienne finalement un médecin. En janvier dernier, j’ai reçu un appel. Une gentille dame qui vérifiait si les informations dans le dossier de mon plus vieux garçon étaient à jour. Comme il est en pleine forme, j’en ai profité pour lui parler d’Alice, qui, selon moi, avait davantage besoin d’un médecin rapidement.
La dame a convenu qu’elle était prioritaire, la faisant passer du rang E (en bonne santé) au rang B (personne pour laquelle une inscription à un médecin est pressante). Et depuis, plus rien. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un autre appel pour mettre à jour les données d’un autre de mes enfants.
Ces appels donnaient l’impression qu’on faisait le tour des gens inscrits au Guichet d’accès à la médecine familiale (GAMF) pour s’assurer qu’ils n’étaient pas morts. Au ministère, on me parle plutôt d’une « épuration administrative » pour vérifier que les personnes sur la liste étaient toujours en attente. La prochaine fois, j’espère qu’on m’appellera pour autre chose qu’un ménage sur la liste. *ÉTUDE DES CRÉDITS 2022-2023, MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX
** COLLÈGE DES MÉDECINS DE FAMILLE DU CANADA. LES MÉDECINS DE FAMILLE: PIVOT DU SYSTÈME DE SANTÉ DU CANADA.