Le Journal de Montreal

Ma fille a été sauvée par sa chiro

La chiroprati­cienne d’Alice, en attente d’un médecin depuis 1180 jours, a détecté son problème au dos

- ERIC YVAN LEMAY Le Journal de Montréal

Il y a six mois, ma fille Alice a subi une chirurgie majeure au dos. On lui a fusionné trois vertèbres. Si rien n’avait été fait, ses vertèbres auraient glissé l’une sur l’autre jusqu’à provoquer des problèmes d’incontinen­ce ou, encore pire, une paralysie des membres inférieurs.

Même si son problème de santé était grave, ce n’est pas un médecin qui a sonné l’alerte. C’est sa chiroprati­cienne. Inquiète de voir que ses douleurs perduraien­t, elle a recommandé de voir un médecin. Après une consultati­on dans une clinique sans rendez-vous, Alice a passé une radiograph­ie de la colonne vertébrale.

Puis, plus aucune nouvelle dans les semaines suivantes. À la clinique, on nous a expliqué que le médecin avait accumulé du retard dans sa paperasse. La chiroprati­cienne a ensuite demandé si elle pouvait consulter elle-même la radiograph­ie dans le dossier de ma fille.

Après avoir regardé le rapport de radiologie, elle nous a dit qu’Alice devait voir d’urgence un orthopédis­te. Trois mois après la première consultati­on avec un spécialist­e de l’Hôpital Shriners, elle est passée sur la table d’opération. Neuf heures de chirurgie suivies de plusieurs mois de réadaptati­on.

SUIVI DE LA MÉDICATION

Pourquoi je vous raconte cette histoire ? Parce que ma famille n’a plus de médecin depuis décembre 2020. Celle qui s’occupait de nous jusque-là a choisi d’aller exercer dans une autre région. Nous sommes donc orphelins de médecin depuis maintenant 1180 jours. Il n’y a personne qui effectue le suivi médical de ma femme, nos quatre enfants et moi-même.

Comme nous, 2,3 millions de personnes au Québec vivent sans ce filet de sécurité avec toutes les conséquenc­es que cela implique. Par exemple, on a dû ajuster la médication de ma fille pour d’autres problèmes de santé avec le pharmacien. Personne d’autre ne s’assure que la dose prescrite continue d’être la bonne, même si elle grandit.

J’aurais pu me tourner vers le privé, me direz-vous, mais je ne le fais pas par principe. Je viens d’un milieu modeste et j’estime que l’argent ne devrait pas te donner un accès privilégié à un médecin.

D’autant plus que les taxes et impôts que je paie, avec l’ensemble des contribuab­les québécois, servent à payer une bonne partie de la coûteuse formation des médecins. Québec verse plus de 40 000 $ par année pour chaque étudiant au doctorat*.

Je ne leur reproche pas de choisir le privé. Pour des patients, c’est parfois la seule façon d’être soignés. Pour certains médecins, c’est la solution pour se sortir la tête de l’eau. La moitié des médecins sont débordés, selon un récent sondage du Collège des médecins de famille du Canada.

Or, le manque de suivis médicaux ne fait qu’empirer le problème. En Alberta, le suivi de patients diabétique­s par un médecin de famille a fait chuter de 18 % les consultati­ons évitables à l’urgence**.

LISTE D’ATTENTE ÉPURÉE

Je ne perds toutefois pas l’espoir que ma famille obtienne finalement un médecin. En janvier dernier, j’ai reçu un appel. Une gentille dame qui vérifiait si les informatio­ns dans le dossier de mon plus vieux garçon étaient à jour. Comme il est en pleine forme, j’en ai profité pour lui parler d’Alice, qui, selon moi, avait davantage besoin d’un médecin rapidement.

La dame a convenu qu’elle était prioritair­e, la faisant passer du rang E (en bonne santé) au rang B (personne pour laquelle une inscriptio­n à un médecin est pressante). Et depuis, plus rien. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un autre appel pour mettre à jour les données d’un autre de mes enfants.

Ces appels donnaient l’impression qu’on faisait le tour des gens inscrits au Guichet d’accès à la médecine familiale (GAMF) pour s’assurer qu’ils n’étaient pas morts. Au ministère, on me parle plutôt d’une « épuration administra­tive » pour vérifier que les personnes sur la liste étaient toujours en attente. La prochaine fois, j’espère qu’on m’appellera pour autre chose qu’un ménage sur la liste. *ÉTUDE DES CRÉDITS 2022-2023, MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX

** COLLÈGE DES MÉDECINS DE FAMILLE DU CANADA. LES MÉDECINS DE FAMILLE: PIVOT DU SYSTÈME DE SANTÉ DU CANADA.

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 ?? PHOTOS FOURNIES PAR LYSANNE TREMBLAY ET IMAGE TIRÉE DU RAPPORT DE RADIOLOGIE PB ?? 3 1. Ma fille Alice entourée de son frère, Léo, et sa soeur, Juliette, dans les jours suivant sa chirurgie, dans un corridor de l’Hôpital Shriners, à Montréal, en août dernier. 2. L’auteur de ces lignes avec sa fille Alice, deux jours après la chirurgie destinée à fusionner trois de ses vertèbres. 3. On peut voir les deux vertèbres qui glissaient l’une sur l’autre au bas de la colonne vertébrale d’Alice, moins de trois mois avant l’opération. C’est cette image qui a alerté la chiroprati­cienne.
PHOTOS FOURNIES PAR LYSANNE TREMBLAY ET IMAGE TIRÉE DU RAPPORT DE RADIOLOGIE PB 3 1. Ma fille Alice entourée de son frère, Léo, et sa soeur, Juliette, dans les jours suivant sa chirurgie, dans un corridor de l’Hôpital Shriners, à Montréal, en août dernier. 2. L’auteur de ces lignes avec sa fille Alice, deux jours après la chirurgie destinée à fusionner trois de ses vertèbres. 3. On peut voir les deux vertèbres qui glissaient l’une sur l’autre au bas de la colonne vertébrale d’Alice, moins de trois mois avant l’opération. C’est cette image qui a alerté la chiroprati­cienne.
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