Le Journal de Montreal

Un fabricant d’ici refuse de laisser tomber malgré la forte concurrenc­e chinoise

Il remerciera 21 employés le mois prochain, mais espère rebondir une fois la tempête passée

- FRANCIS HALIN

« MON INTENTION, C’EST D’ATTENDRE DES CONDITIONS DE MARCHÉ PLUS FAVORABLES POUR SE RELANCER. NOTRE SAVOIR-FAIRE, IL FAUT LE GARDER. » – Dominique Labelle, président de Circuits Labo

Un Québécois qui a commencé à travailler à l’usine de circuits électroniq­ues à l’âge de 14 ans, avant de l’acheter des années plus tard, devra licencier près de 80 % de ses employés en raison de la concurrenc­e chinoise, mais pas question pour lui d’abandonner sa PME au pire moment.

« J’ai commencé ici à 14 ans. Je nettoyais les toilettes. J’ai tout fait ici », confie avec émotion au Journal Dominique Labelle, président de Circuits Labo, 46 ans.

« J’ai acheté plus tard l’entreprise en faillite. Ça a été un chemin de croix. Je n’ai pas eu de salaire pendant trois ans. Je travaillai­s 16 heures par jour », se souvient-il.

CONCURRENC­E CHINOISE

Lors de la visite du Journal, mardi dernier, à l’usine de Circuits Labo de l’arrondisse­ment de Saint-Laurent, à Montréal, Dominique Labelle avait le coeur gros.

Ces derniers mois, sa PME de prototypes de circuits est broyée par la concurrenc­e chinoise, au point où il n’aura plus le choix de remercier 21 de ses 27 employés en avril.

« Les Chinois vendaient le produit à 50 % de mon prix. Ils le font maintenant à 30 %. Leurs prix ont baissé. Ça m’a sidéré. On ne s’en rapproche pas. On s’en éloigne », dit-il.

Comment fait la Chine ? « L’équipement est-il fortement subvention­né ? Leurs locaux ? L’électricit­é ? ». Le mystère est entier pour Dominique Labelle.

MADE IN CHINA

Circuits Labo s’est spécialisé dans les prototypes de circuits imprimés sur demande fabriqués en deux ou trois jours. Un service rapide et personnali­sé.

Or, aujourd’hui, les Chinois arrivent à faire à peu près la même qualité en cinq ou six jours, malgré la distance, et à une fraction du prix, ce qui désole Dominique Labelle.

Pire encore, en plus des salaires et de l’inflation chez nous, le patron de Circuits

Labo vient d’apprendre que son loyer explosera bientôt de 133 %, ce qui est invivable.

« Mon loyer passera de 9 $ le pied carré à 21 $ le pied carré. Ça veut dire 300 000 $ de plus par année. Je ne peux pas rester ici », souffle-t-il.

« Mon intention, c’est d’attendre des conditions de marché plus favorables pour se relancer. Notre savoir-faire, il faut le garder. Circuits Labo va rester », insiste-t-il.

À Toronto, de nombreux fabricants de circuits comme lui ont cessé la production ces dernières années et sont devenus des distribute­urs de produits chinois.

Va-t-il louer une partie plus petite de l’usine ? Va-t-il vendre ses conseils et son expertise à d’autres ? Va-t-il devenir lui aussi un distribute­ur de produits chinois ?

Dominique Labelle réfléchit pour sortir la tête hors de l’eau.

FAIT FRANÇAIS

Alors que l’Administra­tion Biden allonge des milliards de dollars pour battre la Chine dans la course à la fabricatio­n de circuits électroniq­ues, l’entreprene­ur québécois se demande si le Canada a vraiment compris l’ampleur du défi qui s’en vient.

« Les États-Unis ont mis 50 G$ dans le Chips Act et 1 G$ dans les circuits. Si un jour, on a besoin de rapatrier cela chez nous, et que l’on n’a plus de savoir-faire, on va être mal pris. On va dépendre des États.-Unis. », souligne-t-il.

Jeudi dernier encore, Intel a obtenu 11,5 G$ de subvention­s et près de 15 G$ de prêts pour quatre usines de puces en Arizona, Ohio, New Mexico et Oregon, qui devraient créer quelque 30 000 emplois.

Ce qui attriste l’homme d’affaires, qui porte sa PME à bras le corps depuis des années, c’est également de voir le caractère français de cette industrie s’effacer en silence.

« Le francophon­e qui parlait à un ingénieur de Québec ou de Bouchervil­le pour trouver des solutions autour de la table, j’étais fier de ça », conclut-il.

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PHOTO FRANCIS HALIN Dominique Labelle, propriétai­re de Circuits Labo, avec un prototype de circuit produit par sa compagnie. Il fait présenteme­nt face à une forte concurrenc­e de la Chine.

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