Le Journal de Montreal

Québec s’attaque aux inégalités de l’union libre

Jusqu’à maintenant les femmes faisaient souvent face à de plus grands risques financiers en cas de séparation

- JULIEN MCEVOY – Avec Francis Pilon

La réforme du droit de la famille proposée par la CAQ pourrait être le baume que de nombreuses Québécoise­s en union libre attendaien­t. Celles qui, après des années de sacrifices, se retrouvent sans un sou quand leur couple éclate seront mieux protégées.

« C’est un bon début, parce qu’on est très en retard au Québec », commente la spécialist­e Hélène Belleau au sujet du projet de loi 56 déposé hier à l’Assemblée nationale par le gouverneme­nt de la CAQ.

Dans un couple, la femme paie souvent en liquide alors que l’homme paie en solide, illustre la professeur­e de l’Institut national de la recherche scientifiq­ue. Elle s’occupe de la bouffe et des vêtements des enfants pendant que lui paye les meubles et les électromén­agers.

« Sauf qu’à la séparation, les factures font foi de tout », dit celle qui étudie la question depuis plus de 20 ans.

La professeur­e Belleau a d’ailleurs produit une carte, il y a quelques années, afin d’identifier les régions du Québec où une mère en union libre court les plus grands risques financiers en cas de séparation (voir tableau ci-dessus).

C’est en Abitibi, où les hommes gagnent 99 % de plus que les femmes, que l’éclatement d’un couple place le plus souvent les femmes devant des sacs d’épicerie vides.

Ni la maison, ni les meubles, ni la voiture ne sont à leur nom. Elles ne peuvent pas s’opposer à la vente de la maison ni en profiter quelques mois pendant qu’elles se virent de bord.

C’est pour éviter de telles situations que Québec crée un nouveau régime d’union parentale avec le projet de loi 56.

IL ÉTAIT TEMPS

Car celles et ceux qui se pensent protégés par l’union de fait autant que par le mariage se trompent.

Quand un des deux conjoints de fait meurt à 44 ans d’un accident et qu’il n’a pas fait de testament, l’autre conjoint n’hérite de rien. Cela aussi va changer.

« C’est comme si Québec avait copié les protection­s du mariage, avec quelques changement­s », observe la professeur­e de droit Andréanne Malacket.

En plus de s’attaquer à l’héritage, le projet de loi crée une prestation compensato­ire pour le conjoint qui s’est appauvri pendant l’union.

« Une femme qui a fait la comptabili­té de l’entreprise de son chum pendant 20 ans sans être payée pourra toucher quelque chose », illustre la spécialist­e de l’Université de Sherbrooke.

Le patrimoine d’union familiale sera aussi automatiqu­ement créé entre deux individus en union libre à la naissance d’un enfant. La fin du couple mènera à un partage 50-50 de la résidence principale, des meubles et de la voiture.

Le conjoint qui ne possède pas la maison devra aussi donner son consenteme­nt pour la vendre, ce qui n’est pas le cas actuelleme­nt.

PÉNIBLE POUR ELLES

La grande majorité des Québécois demandaien­t ces changement­s, indique un sondage mené par Hélène Belleau et d’autres, récemment.

Plus de 70 % des 2500 personnes interrogée­s pensent que les couples en union libre devraient être considérés par la loi comme les couples mariés après quelques années de vie commune.

C’est le cas de Nisrine Bouhenika, 41 ans, qui aurait aimé bénéficier d’une telle réforme lors de sa séparation, en 2019.

« On a rapidement eu notre fils et on s’est séparé après trois années. C’est lui qui a gardé la maison avec la cour. Je vis maintenant dans un petit trois et demi. C’est déstabilis­ant, mais surtout les enfants », confie cette mère rencontrée à Montréal, hier.

Sébastien Doyle, qui vit en union libre avec sa conjointe depuis huit ans, raconte pour sa part qu’il sera père de famille à l’automne. La réforme est bien accueillie chez lui.

« Le Québec est en retard. Il est temps qu’on ait les mêmes droits sans avoir à se marier devant le curé », lance-t-il à la blague, en regardant sa conjointe.

Ce ne sera pas tout à fait le cas quand le projet de loi 56 sera adopté, avertissen­t les expertes consultées, mais c’est un pas dans la bonne direction.

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PHOTO ADOBE STOCK Un couple qui a décidé de se séparer.

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