Québec s’attaque aux inégalités de l’union libre
Jusqu’à maintenant les femmes faisaient souvent face à de plus grands risques financiers en cas de séparation
La réforme du droit de la famille proposée par la CAQ pourrait être le baume que de nombreuses Québécoises en union libre attendaient. Celles qui, après des années de sacrifices, se retrouvent sans un sou quand leur couple éclate seront mieux protégées.
« C’est un bon début, parce qu’on est très en retard au Québec », commente la spécialiste Hélène Belleau au sujet du projet de loi 56 déposé hier à l’Assemblée nationale par le gouvernement de la CAQ.
Dans un couple, la femme paie souvent en liquide alors que l’homme paie en solide, illustre la professeure de l’Institut national de la recherche scientifique. Elle s’occupe de la bouffe et des vêtements des enfants pendant que lui paye les meubles et les électroménagers.
« Sauf qu’à la séparation, les factures font foi de tout », dit celle qui étudie la question depuis plus de 20 ans.
La professeure Belleau a d’ailleurs produit une carte, il y a quelques années, afin d’identifier les régions du Québec où une mère en union libre court les plus grands risques financiers en cas de séparation (voir tableau ci-dessus).
C’est en Abitibi, où les hommes gagnent 99 % de plus que les femmes, que l’éclatement d’un couple place le plus souvent les femmes devant des sacs d’épicerie vides.
Ni la maison, ni les meubles, ni la voiture ne sont à leur nom. Elles ne peuvent pas s’opposer à la vente de la maison ni en profiter quelques mois pendant qu’elles se virent de bord.
C’est pour éviter de telles situations que Québec crée un nouveau régime d’union parentale avec le projet de loi 56.
IL ÉTAIT TEMPS
Car celles et ceux qui se pensent protégés par l’union de fait autant que par le mariage se trompent.
Quand un des deux conjoints de fait meurt à 44 ans d’un accident et qu’il n’a pas fait de testament, l’autre conjoint n’hérite de rien. Cela aussi va changer.
« C’est comme si Québec avait copié les protections du mariage, avec quelques changements », observe la professeure de droit Andréanne Malacket.
En plus de s’attaquer à l’héritage, le projet de loi crée une prestation compensatoire pour le conjoint qui s’est appauvri pendant l’union.
« Une femme qui a fait la comptabilité de l’entreprise de son chum pendant 20 ans sans être payée pourra toucher quelque chose », illustre la spécialiste de l’Université de Sherbrooke.
Le patrimoine d’union familiale sera aussi automatiquement créé entre deux individus en union libre à la naissance d’un enfant. La fin du couple mènera à un partage 50-50 de la résidence principale, des meubles et de la voiture.
Le conjoint qui ne possède pas la maison devra aussi donner son consentement pour la vendre, ce qui n’est pas le cas actuellement.
PÉNIBLE POUR ELLES
La grande majorité des Québécois demandaient ces changements, indique un sondage mené par Hélène Belleau et d’autres, récemment.
Plus de 70 % des 2500 personnes interrogées pensent que les couples en union libre devraient être considérés par la loi comme les couples mariés après quelques années de vie commune.
C’est le cas de Nisrine Bouhenika, 41 ans, qui aurait aimé bénéficier d’une telle réforme lors de sa séparation, en 2019.
« On a rapidement eu notre fils et on s’est séparé après trois années. C’est lui qui a gardé la maison avec la cour. Je vis maintenant dans un petit trois et demi. C’est déstabilisant, mais surtout les enfants », confie cette mère rencontrée à Montréal, hier.
Sébastien Doyle, qui vit en union libre avec sa conjointe depuis huit ans, raconte pour sa part qu’il sera père de famille à l’automne. La réforme est bien accueillie chez lui.
« Le Québec est en retard. Il est temps qu’on ait les mêmes droits sans avoir à se marier devant le curé », lance-t-il à la blague, en regardant sa conjointe.
Ce ne sera pas tout à fait le cas quand le projet de loi 56 sera adopté, avertissent les expertes consultées, mais c’est un pas dans la bonne direction.