Le Journal de Montreal

La journalist­e talonnée par l’avocat des agents

Poursuite au civil de 3 M$ contre Radio-Canada

- MICHAËL NGUYEN

Talonnée par l’avocat des policiers de la SQ qui la poursuiven­t en diffamatio­n pour près de 3 M$, une journalist­e de Radio-Canada a admis qu’elle s’était par moments contentée d’évaluer elle-même la crédibilit­é des présumées victimes, sans plus de vérificati­ons.

« C’est la multiplica­tion des témoignage­s qui fait que nous sommes allés de l’avant avec cette enquête, c’est ce qui fait la différence entre une enquête policière et journalist­ique », a laissé tomber Josée Dupuis, hier, au palais de justice de Montréal.

Bombardée de questions par Me Marco Gaggino, qui représente 42 policiers de Val-d’Or, la journalist­e maintenant retraitée a continué à défendre le reportage diffusé en 2015 par la société d’État dans l’émission Enquête.

Intitulé Abus de la SQ: des femmes brisent le silence, il donnait la voix à des femmes autochtone­s de Val-d’Or, en AbitibiTém­iscamingue, qui disaient avoir été victimes d’abus physiques et sexuels de la part de patrouille­urs de la Sûreté du Québec (SQ).

Le reportage avait eu un impact considérab­le, menant entre autres à la création de la commission Viens sur les relations entre les Autochtone­s et les services publics.

PASSÉ AU PEIGNE FIN

Une enquête de la police de Montréal n’avait toutefois pas mené à des accusation­s, faute de preuve suffisante.

Puis, 42 policiers ayant travaillé à Vald’Or ont répliqué par une poursuite en diffamatio­n de près de 3 M$, accusant la société d’État d’avoir diffusé des informatio­ns « grotesques » qui ont pourri leur climat de travail.

Et pour tenter de prouver le bien-fondé de leur poursuite civile, Me Gaggino a bombardé la journalist­e de questions en passant au peigne fin chaque détail des témoignage­s recueillis dans le cadre de son travail.

« Qu’avez-vous fait, si vous avez fait quelque chose, pour vérifier la crédibilit­é [d’une des sources du reportage] ? » a par exemple lancé l’avocat à propos du témoignage d’une femme disant avoir été maltraitée par un policier qui l’avait « embarquée » dans sa voiture.

Mme Dupuis a répondu que la femme lui « apparaissa­it crédible », étant donné qu’elle avait été identifiée par une personne qui aurait reçu ses confidence­s. Sauf que l’avocat n’en est pas resté là, demandant entre autres à la journalist­e si elle avait demandé une descriptio­n physique de ce policier.

« C’était très difficile pour elle de parler quand ça implique des policiers, elle ne voulait pas aller plus loin que ce qu’elle disait, elle était sous le choc, ça me satisfaisa­it », a rétorqué la journalist­e.

PAS UNE ENQUÊTE POLICIÈRE

À propos d’autres témoignage­s, Mme Dupuis a affirmé que la spontanéit­é des femmes les rendait crédibles, ce qui était, selon elle, « suffisant ».

« La seule vérificati­on que j’ai faite, c’est que je les écoute, à propos d’autres confidence­s reçues. Leurs témoignage­s ne se ressemblen­t pas. Les femmes ne disaient pas toutes la même chose. Elles me disaient ce qu’elles avaient vécu. »

Juste après, elle a rappelé qu’une des difficulté­s dans son enquête journalist­ique résidait dans le fait qu’elle n’avait pas accès aux policiers.

« Ce n’était pas une enquête policière, mais journalist­ique que je faisais, a-t-elle dit. Moi, c’était de recueillir assez de témoignage­s pour dire qu’il se passait des choses répréhensi­bles. »

Plus tard, elle a rappelé qu’elle n’était pas policière, mais plutôt journalist­e, rappelant que le travail était bien différent.

Le procès civil, devant le juge Babak Barin, devrait se poursuivre pour encore plusieurs semaines.

 ?? PHOTO D’ARCHIVES, MICHAËL NGUYEN ?? La journalist­e retraitée Josée Dupuis au palais de justice de Montréal, le 21 mars.
PHOTO D’ARCHIVES, MICHAËL NGUYEN La journalist­e retraitée Josée Dupuis au palais de justice de Montréal, le 21 mars.

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