La journaliste talonnée par l’avocat des agents
Poursuite au civil de 3 M$ contre Radio-Canada
Talonnée par l’avocat des policiers de la SQ qui la poursuivent en diffamation pour près de 3 M$, une journaliste de Radio-Canada a admis qu’elle s’était par moments contentée d’évaluer elle-même la crédibilité des présumées victimes, sans plus de vérifications.
« C’est la multiplication des témoignages qui fait que nous sommes allés de l’avant avec cette enquête, c’est ce qui fait la différence entre une enquête policière et journalistique », a laissé tomber Josée Dupuis, hier, au palais de justice de Montréal.
Bombardée de questions par Me Marco Gaggino, qui représente 42 policiers de Val-d’Or, la journaliste maintenant retraitée a continué à défendre le reportage diffusé en 2015 par la société d’État dans l’émission Enquête.
Intitulé Abus de la SQ: des femmes brisent le silence, il donnait la voix à des femmes autochtones de Val-d’Or, en AbitibiTémiscamingue, qui disaient avoir été victimes d’abus physiques et sexuels de la part de patrouilleurs de la Sûreté du Québec (SQ).
Le reportage avait eu un impact considérable, menant entre autres à la création de la commission Viens sur les relations entre les Autochtones et les services publics.
PASSÉ AU PEIGNE FIN
Une enquête de la police de Montréal n’avait toutefois pas mené à des accusations, faute de preuve suffisante.
Puis, 42 policiers ayant travaillé à Vald’Or ont répliqué par une poursuite en diffamation de près de 3 M$, accusant la société d’État d’avoir diffusé des informations « grotesques » qui ont pourri leur climat de travail.
Et pour tenter de prouver le bien-fondé de leur poursuite civile, Me Gaggino a bombardé la journaliste de questions en passant au peigne fin chaque détail des témoignages recueillis dans le cadre de son travail.
« Qu’avez-vous fait, si vous avez fait quelque chose, pour vérifier la crédibilité [d’une des sources du reportage] ? » a par exemple lancé l’avocat à propos du témoignage d’une femme disant avoir été maltraitée par un policier qui l’avait « embarquée » dans sa voiture.
Mme Dupuis a répondu que la femme lui « apparaissait crédible », étant donné qu’elle avait été identifiée par une personne qui aurait reçu ses confidences. Sauf que l’avocat n’en est pas resté là, demandant entre autres à la journaliste si elle avait demandé une description physique de ce policier.
« C’était très difficile pour elle de parler quand ça implique des policiers, elle ne voulait pas aller plus loin que ce qu’elle disait, elle était sous le choc, ça me satisfaisait », a rétorqué la journaliste.
PAS UNE ENQUÊTE POLICIÈRE
À propos d’autres témoignages, Mme Dupuis a affirmé que la spontanéité des femmes les rendait crédibles, ce qui était, selon elle, « suffisant ».
« La seule vérification que j’ai faite, c’est que je les écoute, à propos d’autres confidences reçues. Leurs témoignages ne se ressemblent pas. Les femmes ne disaient pas toutes la même chose. Elles me disaient ce qu’elles avaient vécu. »
Juste après, elle a rappelé qu’une des difficultés dans son enquête journalistique résidait dans le fait qu’elle n’avait pas accès aux policiers.
« Ce n’était pas une enquête policière, mais journalistique que je faisais, a-t-elle dit. Moi, c’était de recueillir assez de témoignages pour dire qu’il se passait des choses répréhensibles. »
Plus tard, elle a rappelé qu’elle n’était pas policière, mais plutôt journaliste, rappelant que le travail était bien différent.
Le procès civil, devant le juge Babak Barin, devrait se poursuivre pour encore plusieurs semaines.