Le Journal de Montreal

Québec fait toujours confiance à Huawei

Des données de nos infrastruc­tures toujours hébergées chez l’entreprise chinoise soupçonnée d’espionnage

- FRANCIS HALIN

Des données de la Société québécoise des infrastruc­tures (SQI), qui gère nos projets majeurs d’hôpitaux, d’écoles et de prisons, sont conservées sur une unité de stockage du géant chinois controvers­é Huawei depuis près de cinq ans.

Depuis juin 2019, la Société québécoise des infrastruc­tures (SQI) garde « des copies de sécurité des données » sur appareil de stockage de la chinoise Huawei, soupçonnée d’espionnage par les autorités américaine­s et les agences de renseignem­ents alliées du « Five Eyes ».

Interrogée plusieurs fois par Le Journal, la SQI n’a pas voulu dire quel type de documents s’y trouvent et a précisé qu’elle vient d’acquérir une solution de rechange qui remplacera celle de Huawei.

« LUMIÈRES ROUGES »

La SQI gère un parc immobilier de ministères et organismes de 1011 immeubles et 356 bâtiments, en plus d’administre­r 818 baux.

« Il y a cinq ans, il y avait déjà des lumières rouges avec Huawei. Aujourd’hui, tous les équipement­iers l’ont abandonné. On est une porte d’entrée facile », s’inquiète Paul Laurier, ex-enquêteur à la Sûreté du Québec (SQ), formé par le FBI.

Il craint que des erreurs d’employés ne viennent ouvrir la boîte de Pandore. Huawei est accusée d’espionnage par les États-Unis, ce qu’a toujours vigoureuse­ment nié la multinatio­nale de Shenzhen et les diplomates chinois.

« Si le gouverneme­nt a l’orientatio­n de retirer tout l’équipement de Huawei et de ZTE, ça devrait inclure le stockage du même fournisseu­r », ajoute à son tour Steve Waterhouse, expert en cybersécur­ité.

LA SQI SE DÉFEND

D’après la Société québécoise des infrastruc­tures (SQI), « l’équipement [Huawei] se situe dans un réseau isolé des accès externes et ne représente donc aucun risque de sécurité ».

« Les moyens mis en place pour gérer le “risque potentiel’’ sont efficaces et suffisants pour le mitiger complèteme­nt », assure sa porte-parole Anne-Marie Gagnon.

« L’unité de stockage Huawei n’a aucun lien avec internet, ceux-ci ayant été désactivés depuis plusieurs années. De plus, le contenu de cet équipement est encrypté et seule la SQI possède la clé permettant de voir son contenu », détaille-t-elle.

Pour le spécialist­e en cybersécur­ité Karim Ganame, PDG de Streamscan, cela est « acceptable [à condition] qu’elle soit une mesure temporaire ».

PING-PONG POLITIQUE

En mai 2022, Ottawa avait exigé que les entreprise­s de télécommun­ications cessent « d’utiliser les composante­s ou les services désignés fournis par Huawei et ZTE ».

Ces derniers jours, Le Journal a demandé au cabinet du ministre fédéral de l’Innovation, François-Philippe Champagne, si le cas de la SQI comportait des risques.

Le cabinet a renvoyé la balle au ministère de la Sécurité publique, qui a voulu en savoir plus sur la technologi­e utilisée et a suggéré de questionne­r également le ministère de la Cybersécur­ité et du Numérique, dirigé par Éric Caire.

« Le ministère de la Cybersécur­ité et du Numérique (MCN) n’a aucune indication que les appareils de Huawei comportent des vulnérabil­ités qui puissent compromett­re la confidenti­alité des données. Ce faisant, le MCN n’a pas émis aucune directive concernant Huawei », a répondu sa porte-parole Nathalie St-Pierre.

« Si cela s’avère nécessaire, des recommanda­tions et/ou règles d’usage pourraient émaner de cette analyse et être transmises aux organismes publics », a-t-elle conclu.

Huawei n’a pas répondu à nos questions.

Il y a quatre ans, Le Journal rapportait que le géant chinois des télécommun­ications Huawei misait sur d’ex-politicien­s pour convaincre Ottawa d’ouvrir la porte à son réseau 5G. Ces efforts ont été vains, car le fédéral a fini par fermer la porte à l’entreprise après des pressions.

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PHOTOS D’ARCHIVES L’entreprise chinoise Huawei est depuis longtemps soupçonnée d’espionnage, mais le ministère de la Sécurité numérique, dirigé par Éric Caire (mortaise), n’a aucune indication que les serveurs de l’entreprise comportera­ient des vulnérabil­ités.
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PAUL LAURIER Ex-enquêteur

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